Bioéthique : « Apaiser les souffrances physiques et morales »

Monseigneur Dufour, archevêque d’Aix et Arles, précise sa position sur la question de la fin de vie et l’euthanasie dans l’émission Parole d’évêque sur RCF.

Le mot « Euthanasie » vient du grec : « eu » –bonne- et « thanatos » – mort. Donc littéralement la bonne mort. Pourquoi l’Église catholique est-elle opposée à cette « bonne mort » ?

Parlons aujourd’hui vraiment de la fin de vie, cela nous arrivera à tous d’être un jour en fin de vie.

Reconnaissons d’abord l’immense souffrance que cela représente : d’abord pour celui qui est en fin de vie. Ce sont les souffrances physiques, ce sont les douleurs physiques, ce sont les souffrances morales. Et c’est souvent aussi un abandon. Nous comprenons l’angoisse de ceux qui souffrent.

Et il n’est pas facile, pour les enfants, pour les petits-enfants, pour les parents quelques fois, d’accompagner ces personnes en fin de vie. Quelques fois ce sont des jeunes accidentés aussi, et donc pour les parents c’est vraiment quelque chose de difficile.

La première attitude de l’Église quant à la question de la fin vie est la suivante : devant cette souffrance, tout faire pour apaiser la souffrance, et d’abord la douleur physique.

C’est une des dispositions prises par les soins palliatifs…

Je me rappelle, quand j’étais aumônier des étudiants en médecine à Lille vers 1983-84, nous avions organisé un débat sur les soins palliatifs. Les Jésuites étaient à la pointe, avec notamment les auxiliatrices du purgatoire – le centre Jeanne Garnier à Paris. Nous les avions fait venir ainsi que des médecins britanniques, de l’hôpital catholique Saint Christopher où avaient eu lieu les premières recherches sur les soins palliatifs. A cette époque-là il n’y avait très peu d’enseignement dans les universités sur les soins palliatifs.

Donc voilà, il faut tout faire, pour que la recherche en médecine continue, afin d’apaiser la douleur physique des personnes en fin de vie, et apaiser aussi la souffrance morale.

Tant de gens meurent seuls, pas étonnant qu’ils soient angoissés. Et donc il y a aussi cet accompagnement de la douleur morale, d’entourer moralement les personnes. C’est un grand investissement financier et humain que ces soins palliatifs.

Voilà la bonne mort, la mort telle que nous pouvons l’espérer pour chaque être humain : sans la douleur, bien accompagné jusqu’au dernier souffle, sans qu’on retire ce souffle artificiellement.

Il suffit parfois d’une augmentation d’une dose médicamenteuse pour provoquer la mort. Quelle différence y a-t-il entre euthanasie et une erreur de soins palliatifs ?

La loi Léonetti est tout à fait claire là-dessus. Il revient au médecin, à la personne compétente, c’est son métier. Et d’essayer de garder le maximum de conscience le plus longtemps possible pour que la personne puisse avoir son soutien moral jusqu’au bout. Pouvoir parler jusqu’au bout.

J’ai perdu mon beau-père et ma sœur de cancers. Tous deux ont eu la chance d’être accompagnés dans un hôpital catholique, de soins palliatifs. Nous avons pu guetter jusqu’au bout leurs dernières paroles. Une bonne mort, c’est celle-là, avec des gens qui sont des professionnels des soins palliatifs, c’est leur métier.

Alors aujourd’hui il y a des équipes médicales qui provoquent la mort. Par exemple, un prêtre a été sollicité un jour par une personne qui dit : « demain pourrez-vous dire une messe car ma mère va mourir demain, vendredi à 17h ».

Et bien oui, il y a effectivement des cas où la mort est provoquée.

Quelle est la différence ?

C’est l’intention qui les différencie. Il n’y a pas intention à provoquer la mort pour les soins palliatifs, mais l’intention à accompagner la fin de vie jusqu’à son dernier souffle, avec une conduite méticuleuse.

Dans le cadre des débats sur la bioéthique, certains voudraient revoir la Loi Léonetti-Clays. Est-elle équilibrée selon vous ? Faut-il la revoir, aller plus loin ?

Elle n’est pas assez connue. Il n’y a pas eu assez de formation des soignants, pas assez d’explications aux familles. Il y a tout un travail pédagogique à faire. Il y a aussi un investissement financier pour que ces équipes médicales méritantes, comme celles d’Aix et de Gardanne, puissent poursuivre dans cette voie.

Les budgets des soins palliatifs ne sont utilisés qu’à 50%. Est-ce choquant ?

Oui, c’est choquant, évidemment, il faut instaurer une culture palliative.

J’ai aussi cette conviction, et l’Église est très ferme la dessus, que nous devons éviter l’acharnement thérapeutique, pas de soins disproportionnés. Nous devons éviter l’obstination déraisonnable.

Un jour un homme est venu me voir, il avait 70 ans, il devait subir une très grave opération. Je l’ai libéré car il m’a demandé s’il était obligé de passer par cette grave opération. « Renseignez-vous bien auprès de votre médecin pour savoir les conséquences, les chances de survie que vous auriez, dans quelles conditions, et ensuite vous prenez votre décision en conséquence, au nom de ce principe : pas d’acharnement thérapeutique » lui ai-je répondu.

On pourrait croire que derrière les soins palliatifs, il y a de l’acharnement thérapeutique ?

Les soins palliatifs ne soignent plus la maladie. La maladie fait son effet, c’est la maladie qui provoque la mort, et donc on accompagne ce moment par des soins palliatifs : à la fois des soins médicamenteux qui apaisent la douleur, et un accompagnement humain pour apaiser les souffrances morales.

Mgr Dufour, au nom de quels grands principes L’Église catholique défend-elle les soins palliatifs plutôt que l’euthanasie, la bonne mort selon l’étymologie du mot ?

De sa conception de l’être humain, au nom d’un humanisme éclairé par la parole de Dieu, dans l’Écriture et dans le message du Christ, de respecter la vie. « Tu ne tueras pas », c’était dans le Décalogue. Une règle qui fonde le vivre-ensemble.

On parle aujourd’hui de suicide assisté. Je pense que les médecins dans leur conscience ne veulent pas provoquer la mort. Au contraire, parfois, certains veulent aller un petit peu trop dans le soin pour essayer de lutter contre la maladie. Je pense que c’est tout à l’honneur des médecins de se battre jusqu’au bout.

Le droit à mourir dans la dignité, c’est le droit à mourir avec les soins palliatifs. ? La profonde dignité, c’est d’accompagner les êtres humains, nos proches en fin de vie, de les respecter en les accompagnant jusqu’à leur dernier souffle tout en aménageant pour qu’ils souffrent le moins possible et qu’ils puissent communiquer jusqu’au bout. Encore une fois je sais l’immense souffrance que représente la fin de vie et je le respecte profondément.