Bioéthique : « Le corps, c’est moi, sujet »

Dans le cadre de l’émission Parole d’évêque sur Dialogue RCF, Monseigneur Christophe Dufour clarifie la position de l’Église sur la question de la Gestation Pour Autrui (GPA).

Le principe de la GPA est le suivant : une femme porte un enfant qui a été fécondé in vitro, à partir des gamètes des parents d’intention, ou à partir de ses ovocytes à elle, ou ceux de donateurs. Ce système est généralement interdit en Europe mais pratiqué voire autorisé ailleurs dans le monde. Des couples hétérosexuels ou homosexuels y ont recours. Cette pratique permet de contourner des problèmes d’infertilité, par exemple. Monseigneur Dufour, le désir d’enfant peut-il justifier toutes les pratiques ?

Je veux dire ma proximité avec tous ces couples infertiles, stériles. Le désir d’avoir des enfants, c’est ce qui occupe notre réflexion, notre débat de société. Nous avons déjà parlé de la PMA, toutes les questions éthiques qu’elle pose, tous les risques de consanguinité, de commercialisation des gamètes, du grand marché de la procréation. La GPA fait partie de ces moyens pour répondre à l’infertilité.

Mais elle pose des questions beaucoup plus graves. Il y a des risques si elle est autorisée. Elle en pose déjà car elle est autorisée dans certains pays.

Quel est le regard de l’Église ? Non, le désir d’enfant ne peut pas justifier toutes les pratiques. Le regard de l’Église se tourne vers l’enfant et vers la femme qui porte l’enfant.

Avec la Gestation Pour Autrui, une femme met son utérus à disposition d’un couple. On pourrait dire que c’est beau de vouloir aider un couple à avoir un enfant… Peut-elle le faire selon vous, Christophe Dufour ?

En ce qui concerne la GPA, dans toutes situations, nous sommes extrêmement vigilants. Nous pensons que le verrou doit être mis. On ne peut pas répondre à ce désir d’enfant sans regarder l’enfant, et sans regarder la femme dont le corps va être instrumentalisé, commercialisé, car elle va vendre son utérus comme un outil de production. Il y a une nouvelle forme d’exploitation des femmes. Sylviane Agacinski [philosophe française, épouse de Lionel Jospin, ndlr] dont le combat contre le GPA est en pointe, parle d’une forme d’esclavage et d’aliénation.

Et si la GPA était gratuite, pourriez-vous arguer ? Supposons un arrangement entre deux femmes. Vous imaginez si ces deux femmes se reconnaissent, celle qui a porté l’enfant aura sûrement envie de regarder cet enfant qui grandit, peut-être même d’avoir un droit sur l’éducation. La GPA pose énormément de questions.

Contre la GPA, l’Église Catholique brandit l’argument de l’indisponibilité du corps humain. Un être humain n’est-il pas libre de faire ce qu’il veut de son corps ?

Le principe d’indisponibilité n’est pas seulement un principe de l’Église, mais d’abord un principe du droit français. La cour de cassation en 1991 rappelle ce principe d’indisponibilité du corps et de la personne, à propos des conventions entre un couple et une mère porteuse.

C’est inscrit dans le code civil de 1994 et le CCNE est absolument clair sur le sujet : « dans le contrat d’une GPA, le corps et la personne de l’enfant sont un objet de contrat, ce qui est incompatible avec les principes généraux du droit ».

Les femmes demandent la liberté de disposer de leur corps, c’est ce que vous voulez dire ?

Cela pourrait être une revendication, du coup, avoir le droit de faire ce que l’on veut de son utérus… ?

Comment considérez-vous votre corps ? Dites-vous « mon corps est à moi » ou bien « mon corps est moi » ? C’est-à-dire : « mon corps est à moi comme un objet » ; ou « mon corps est moi, mon corps est toute ma personne ».

Dans cette question éthique, le choix du droit et de l’Église est de dire : le corps, c’est la personne, et à ce titre, il doit être profondément respecté dans sa dignité et dans ce principe d’indisponibilité.

On ne peut pas librement porter atteinte à son intégrité physique ?

De le même façon que la personne doit être respectée dans sa dignité, le corps doit obéir au même principe, puisque c’est la personne. Le choix est là : mon corps est-il à moi ou bien le corps est-il moi ? Le droit aujourd’hui se fonde sur cette équation entre la personne et le corps. Le corps n’est pas un objet. Le corps c’est moi, c’est le sujet. Je crois que le fond du débat est là.

L’Église catholique s’oppose à la Gestation Pour Autrui avec cet argument : louer son utérus revient à réifier son intimité. Selon l’Église, c’est de la marchandisation. Pourquoi un tel point de vue ? Finalement, tout métier suppose de louer une part de soi-même : un travailleur manuel loue ses bras, un autre son cerveau… donc dans le cas de la GPA, on pourrait louer son utérus ?

Un travailleur offre sa capacité à travailler, c’est toute sa personne qui offre sa participation. C’est la question de la dignité de travailleur qui est posée.

En quoi la GPA est-elle mauvaise pour enfants ?

Je ne suis pas une femme mais je suis concerné car j’ai été un enfant, j’ai été dans le sein de ma mère. Toutes les recherches montrent que les 9 mois de gestation sont très importants, qu’il y a un lien entre le biologique et le psychologique. Il y a une science, l’épigénétique, qui montre qu’il peut même avoir une influence sur les gènes.

L’interaction entre la mère et l’enfant est très importante. On peut craindre du coup le sentiment d’abandon vécu par l’enfant. Marcel Rufo [pédopsychiatre, professeur d’université – praticien hospitalier honoraire, écrivain, ndlr]affirme que les dégâts sont irréparables.

Et puis la mère porteuse peut avoir d’autres enfants. Voir qu’un enfant est vendu, vous imaginez le choc produit sur les frères et sœurs. Dans le droit français, la femme qui accouche est la mère.

Il existe d’autres situations dans lesquelles un enfant est abandonné, puis élevé par des parents qui ne sont pas forcément les parents biologiques. C’est l’adoption. Et pourtant, c’est accepté par la société…

D’un côté, on essaie de réparer tant bien que mal un mal fait à un enfant. De l’autre côté on le cause, on le provoque.

Aujourd’hui la GPA est toujours interdite en France. S’est posée l’année dernière la question de l’état civil, la transcription dans l’état civil français de la filiation d’enfants nés de GPA à l’étranger. La Cour de Cassation a opté pour une voie dite de consensus : ni refus, ni autorisation de la GPA. Le père biologique de l’enfant né par GPA sera reconnu comme le père, mais pas la mère d’intention. Par contre, une adoption simple, celle qui n’efface pas la filiation d‘origine, pourra être établie avec le parent d’intention. Est-ce déjà une ouverture, un encouragement à la GPA ?

C’est clairement une ouverture à la GPA. Ces décrets ont fait suite à l’émotion suscitée par la centaine de cas recensés jusqu’ici en France. Il faut que les personnes qui ont recours à la GPA assument. Comme le président Macron l’a dit, il nous faut verrouiller le système. Le temps des demi-mesures est révolu, il faut resserrer l’interdit. N’oublions pas que l’abandon est condamné en France. Je pense qu’aujourd’hui il faut des mesures pénales contre ces couples qui sont en infraction vis-à-vis du droit français.