« Le prêtre n’est pas un manager, mais il doit s’en entourer »

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Chaque année, au début du mois de juin, l’Église catholique célèbre la fête du Cœur de Jésus. Depuis 2012, à l’occasion de cette journée, les fidèles sont invités à prier spécialement pour la sanctification des prêtres. Cette année, Mgr Dufour, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles, a eu le désir d’adresser à tous les prêtres de son diocèse une longue lettre. Pour leur dire quoi ? C’est le sujet abordé aujourd’hui dans Parole d’évêque.

 « Le Seigneur demande tout et vous lui avez tout donné en répondant à l’appel à être prêtres ». Voici quelques-uns des mots par lesquels débute le courrier que l’archevêque d’Aix-en-Provence et Arles a adressé récemment à ses prêtres pour la fête du Sacré-Cœur. Que reçoit-on quand on donne tout en devenant prêtre ? Quel équilibre de vie pour le prêtre ? Nous allons en parler avec vous, Mgr Dufour. Bonjour ! Votre lettre est longue, 3 pages. Est-ce fréquent de vous adresser ainsi à vos prêtres ?

Disons que je m’adresse habituellement aux prêtres d’abord à la messe chrismale, je rencontre les prêtres pendant la journée, je les écoute. Il y a aussi une journée fraternelle qui se tient pour la rentrée pastorale, le premier mardi du mois d’octobre, autour de la fête de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Ce jour-là, je m’adresse pendant une demi-heure aux prêtres pour donner une orientation pour leur ministère. Cette orientation est une ligne de réflexion, telle que je peux la contempler dans le cœur de Dieu. Par contre, écrire une lettre aux prêtres avec une telle consistance, c’est la première fois.

Quel était votre objectif premier en rédigeant ce texte ?

Il y avait d’abord plusieurs occasions. C’est vrai que tous les ans, le pape Benoit XVI a voulu instituer une journée mondiale de prière pour la sanctification des prêtres, et c’est la fête du Sacré Cœur. Je pense qu’il était important de le rappeler (cf edito mois de juin).

Et puis, une autre occasion s’est présentée : la magnifique exhortation apostolique Gaudete et exultate (Soyez dans l’allégresse et dans la joie). C’est un refrain qui revient toujours dans la bouche du pape François : la joie de l’évangile, la joie de l’amour, Soyez dans la joie et l’allégresse. C’était donc l’occasion aussi de les [les prêtres, NDLR] inviter à lire, à méditer, à prêcher sur cette exhortation apostolique, c’est-à-dire l’appel du Christ à la sainteté, la vocation du baptisé à la sainteté. C’est la vocation du prêtre, bien évidemment. Il faut aussi les inviter à accompagner une communauté, le peuple de Dieu sur ce chemin vers la sainteté.

Dans cette lettre aux prêtres, il est question des souffrances. Quelles sont les souffrances ou les déceptions auxquels les prêtres sont confrontés aujourd’hui ?

Je rejoins les prêtres dans la difficulté du ministère de prêtre aujourd’hui. Une des grandes difficultés, c’est ce que j’appelle les méfaits du service public : on vient demander un sacrement mais il n’y a pas d’engagement à une vie chrétienne. Il y a sans doute au fond de l’âme quelque chose de cette vie chrétienne, mais elle ne s’exprime pas. Et donc, célébrer des baptêmes, des mariages, des obsèques n’édifie pas l’Église, le projet de Dieu de créer une famille.

Une autre souffrance des prêtres, c’est le climat d’indifférence à la foi chrétienne, c’est aussi le matérialisme critique, le conflit dans les communautés, les agressions dont ils peuvent être victimes. Je pense à ce prêtre invectivé dans la rue, accusé publiquement sur le Cours Mirabeau d’être un prêtre pédophile. Il y a malheureusement des prêtres pédophiles et du coup chaque prêtre se sent accusé de l’être, ce qui est faux.

Vous parlez de manque de reconnaissance, du manque de perspective, de solitude. Voulez-vous dire que la fatigue, la lassitude, le burn-out viendrait de là plutôt que de la suractivité ?

Ce n’est pas la suractivité, ce sont les sollicitations, la pression de certaines personnes assez exigeantes : dans cette société de consommation, on revendique le « droit à ».

Dès que l’on veut faire une petite réforme, comme changer les horaires des messes, cela demande une énergie considérable. Une difficulté, c’est de vivre la transformation missionnaire de notre Église catholique, des paroisses. Il faut beaucoup de patience, d’énergie.

Je crois que le chemin est en route. Ce que j’aime beaucoup, et je l’ai écrit aux prêtres, c’est cette référence du pape François à cette joie surnaturelle : cette joie qui est un don de Dieu, même dans l’épreuve. C’est certainement une grâce que Dieu fait aux prêtres tout spécialement. Il ne faut surtout pas que cette joie ne s’envole. Il faut la demander, constamment dans la prière.

Dans la lettre, vous écrivez « Nous avons à nous aider les uns les autres à grandir sur le chemin de la sanctification. »  Ce point soulève la question de la solitude des prêtres. D’une manière plus générale, dans la vie de tous les jours, un prêtre peut-il avoir un soutien, une écoute ailleurs que parmi ses pairs ?

La première famille du prêtre, c’est sa paroisse, son peuple, sa communauté. Comment créer, autour du prêtre, une véritable fraternité, qui peut s’exprimer ? Le prêtre aussi a ses torts. Je crois que nous devons de revenir à la source : « voyez comme ils s’aiment », « aimez-vous les autres ». J’aime beaucoup, ce que nous contemplons dans les actes des apôtres : cette révolution sociale. Le Christ vient transformer les rapports, les relations humaines. Quand l’esclave mange à la table de son maître, la relation avec tous les étrangers. Cela doit faire que notre église soit une famille, que chaque paroisse soit une petite famille, missionnaire évidemment.

Vous parlez des paroisses : quand un prêtre reçoit la fonction de curé, il est confronté au management. Or tous les prêtres n’ont pas les qualités ni la formation d’un manager. Or, avec la raréfaction des prêtres, tout prêtre devient curé. Ce modèle est-il tenable dans la durée ?

De toutes les façons nous aurons toujours besoin de prêtres pasteurs, cette mission de rassembleurs. Les prêtres sont les collaborateurs de l’évêque mais au fond, ils ont la même mission : celle de pasteurs, d’envoi permanent en mission. Ils ne sont pas des managers, mais il leur faut s’entourer de managers, de personnes compétentes dans l’organisation. Cela fait partie des réformes à faire dans les paroisses.

Le prêtre est d’abord un pasteur. Au cœur de sa vie, il y a l’eucharistie, qui participe à sa sainteté. Quelles spécificités la célébration de l’eucharistie confère-t-elle au prêtre ?

C’est d’abord un service, un ministère : il est au service du don de Dieu. L’onction du baptême, l’onction de la confirmation, c’est sur le front. Mais l’onction du saint-chrême sur le prêtre, c’est sur ses mains. Ses mains deviennent l’instrument de sanctification par les sacrements. Le rôle du prêtre est d’abord un service du peuple de Dieu. Dieu se donne à travers le ministère du prêtre. Mais quand il célèbre l’eucharistie, c’est-à-dire l’offrande du peuple, l’offrande de toutes les activités humaines, l’offrande de l’univers entier, et bien il s’offre lui-même sur l’autel, à la consécration, au don du Saint-Esprit. Quand il prononce ces paroles « voici le corps livré, voici le sang versé », c’est bien-sûr le corps et le sang du Christ, mais c’est aussi lui-même qui s’offre, en quelques sortes, en sacrifice. Voilà pourquoi la célébration de l’eucharistie est pour le prêtre un grand chemin de sanctification. Et dans ma lettre aux prêtres, je cite les paroles de Jésus-Christ prononcées juste avant sa passion : « Père, je me sanctifie pour eux, pour qu’ils soient eux-mêmes sanctifiés ». La prière sacerdotale est aussi la prière du Christ : « je m’offre, je me sanctifie en m’offrant sur l’autel pour que mon peuple soit sanctifié ». C’est une mystique du prêtre.