L’Église catholique d’Aix et Arles tâche de lutter concrètement contre la pédophilie

dufour-rcf-dialogue

Le 24 février dernier, le Pape François a conclu le sommet sur la pédophilie par une rencontre et une célébration à la salle royale du palais apostolique. Devant les responsables des conférences épiscopales, et après avoir entendu le témoignage d’une victime d’abus sexuel, le souverain pontife a appelé à la tolérance zéro, à mettre fin à la culture du secret, à collaborer avec les acteurs des sociétés pour « écouter, défendre, protéger et soigner les mineurs abusés ». Un vade-mecum sera transmis aux évêques du monde entier. Alors, comment lutter contre la pédophilie dans l’Église catholique, et ce de manière concrète au niveau local ? Réponse avec Mgr Dufour, archevêque d’Aix et Arles, dans La Voix des églises sur RCF.

Monseigneur Christophe Dufour, depuis que vous êtes évêque d’Aix et d’Arles (2008), aucun prêtre de votre diocèse n’a été condamné par la justice pour des actes de pédophilie. Mais cela pourrait arriver… Seriez-vous prêt à accepter, à affronter une telle épreuve ou bien vous serait-il difficile de croire qu’un prêtre que vous connaissez puisse être coupable ?

Je pense beaucoup à mes frères évêques, notamment mon diocèse d’origine (diocèse de Lille) qui a eu de nombreux cas. J’étais évêque à Limoges et je n’ai eu aucun cas à ce moment-là. Et ici (diocèse d’Aix) je n’ai pas encore eu à affronter une mise en examen d’un prêtre sur ce sujet-là. J’ai eu le temps de me préparer, même si il y a eu des étapes :

Lorsque j’ai été nommé évêque en l’an 2000, ma première assemblée d’évêque a eu lieu en pleine affaire Piquant. À ce moment-là, nous avons eu une journée de formation sur la pédophilie en rapport avec l’affaire du père Piquant. Nous avons donc été comme des apprentis. Ensuite nous avons pris la décision de faire un document, « lutter contre la pédophilie ».

Mais il a fallu beaucoup de temps (+ de 10 ans) pour que les évêques prennent conscience de la gravité de leurs actes sur des victimes. Et aujourd’hui ma première réaction serait pour la défense des victimes.

Donc aujourd’hui ces problèmes de pédophilie font partie de votre grille de lecture ?

Il faut que je sois prêt à affronter cette grave difficulté, cette épreuve pour notre Église. Je pense être prêt pour savoir exactement ce qu’il faut faire. Il y a une cellule d’écoute c’est-à-dire que les victimes peuvent s’exprimer sur notre adresse e-mail. 3 victimes se sont déjà exprimées sur des faits qui se sont déroulés il y a longtemps. Et j’ai pu avoir de bons échanges avec ces victimes. Ensuite j’ai à mes côtés un petit conseil avec des psychologues et magistrats, c’est une cellule de crise si jamais cela se produisait.

Tout cela correspond au volet curatif : l’écoute des victimes, des blessures… Le pape François a dit dans sa Lettre au peuple de Dieu en août dernier que les « blessures ne connaissent jamais de prescription ». Comment interpréter cette phrase ? S’agit-il finalement de remettre en cause le délai de prescription de la justice française ?

Je ne pense pas que le pape se mêlerait de cela. Je sais qu’il en est question et c’est plutôt les associations des victimes qui travaillent dans ce sens pour allonger ce temps, voire supprimer le délai de prescription pour ces faits. Par contre, les victimes qui m’ont écrit et avec lesquelles j’ai pu échanger sur des faits qui datent de très longtemps, me donnent la preuve, que effectivement la blessure reste ouverte jusqu’au bout et qu’elle saigne profondément, intérieurement au fond de l’âme.

Le pape François appelle aussi à en finir avec la culture du secret, à la tendance à protéger l’institution de l’Église Catholique. Cela signifie-t-il qu’il faut en finir avec les enquêtes internes et transmettre systématiquement à la justice tout soupçon de fait pédophile par un signalement ?

Nous n’avons pas le droit de faire d’enquête canonique. La première chose que nous avons à faire, c’est de signaler au procureur et d’envoyer tous les documents que nous avons en notre possession. Car c’est le procureur de la République qui dirigera l’enquête et nous devons nous tenir à disposition pour donner tous les renseignements et répondre à toutes les questions qu’il nous pose.

Tolérance zéro pour les auteurs d’acte pédophile, c’est la consigne du pape François. Selon vous, que faut-il faire d’un prêtre qui a été reconnu coupable d’acte pédophile ?

Il y a différents degrés de ces actes, d’abord il y a la justice qui va condamner, ensuite il y a une sanction canonique qui doit s’exercer et qui peut aller jusqu’à l’interdiction de célébrer, c’est-à-dire suspendre le ministère mais aussi réduire à l’état laïc (suppression de l’état clérical).

Dans le texte du pape François publié le 24 février dernier, il appelle notamment à tout un volet préventif sur la pédophilie, et appelle notamment à revoir la formation des séminaristes pour exclure « les personnalités problématiques ». Comment les séminaristes de votre diocèse sont-ils suivis dans le domaine de l’affectivité ?

Premièrement, ils ont une session tous les ans sur le thème de la pédophilie. Deuxièmement, une psychologue leur donne des cours et ils ont la possibilité eux-mêmes de demander un rendez-vous avec cette psychologue ou une autre. C’est comme cela qu’ils peuvent prendre conscience de leur grande fragilité. Ensuite ils ont un accompagnateur spirituel. S’il détecte des failles affectives, il doit demander au séminariste de se tourner vers des gens compétents pour être suivi.

C’est un des critères très importants pour l’équipe des pères du séminaire, s’ils voient des trop grandes fragilités affectives, la première décision à prendre est d’abord un suivi psychologique. Mais cela arrive souvent qu’on demande au séminariste d’arrêter sa formation au séminaire.

Est-ce déjà arrivé ?

Cela arrive tous les ans notamment dès la première année propédeutique. C’est un des critères essentiels sur lequel nous avons une très grande vigilance.

Vous avez parlé d’un suivi psychologique avec une psychologue de ces candidats au sacerdoce. Au séminaire d’Issy-les-Moulineaux (région Parisienne), les séminaristes sont suivis plusieurs fois par an par un sexologue et un psychologue, cela va vraiment très loin. Est-ce une mesure qui vous inspire ?

Aujourd’hui seuls des psychologues suivent nos séminaristes, mais pas de sexologues.

Vous avez également parlé d’une journée de formation et de prévention sur la pédophilie. Il y en a eu une l’année dernière, en avril 2018, pour les prêtres de votre diocèse. Mais cela parait un peu vain car une personne qui a des difficultés, des déséquilibres affectifs, ne va pas tout d’un coup lever la main en disant : « j’ai des problèmes affectifs ».  Finalement ce genre de prévention est ce que cela sert à aider chacun à repérer les désordres affectifs des autres ?

Je pense que la journée pour les prêtres était pour connaitre un peu les sujets comme celui-ci et ensuite c’est aussi pour repérer les éventuelles victimes. Les prédateurs sont massivement des proches des victimes, et quelques fois des membres de la famille. Mais l’enfant ne le dira jamais. Le secret est encore bien plus grand dans les familles.

Et donc c’est pour discerner les comportements des enfants qui auraient pu être victime. Il y a une œuvre très importante auprès des jeunes. Les établissements catholiques ont le même travail.

Tous ces problèmes de la pédophilie sont-ils une œuvre du diable ?

Je crois que ce qui se passe aujourd’hui c’est l’œuvre de Dieu. Pour nous, même si l’Église est vraiment salie aujourd’hui, nous reconnaissons la réalité de ce qui se passe à l’intérieur de notre Église. Et je crois que c’est vraiment l’œuvre de Dieu qui purifie notre Église. Et je crois que ceux qui sont tentés aujourd’hui risquent bien de ne pas passer aux actes. Car ils savent maintenant les conséquences. Par contre il y a des pédophiles qui sont vraiment malades et cela sont les plus dangereux car il n’y a pas de guérison possible donc le passage à l’acte peut être très rapide.

Agenda

Approfondir votre lecture