Fermeture des églises : redéfinir la pastorale et responsabiliser les laïcs

dufour-rcf-dialogue
84 prêtres sont en activité dans le diocèse d’Aix et Arles, ils desservent 160 lieux de cultes répartis sur un territoire de 476 000 hectares, pour une population de 960 000 habitants. Le diocèse d’Aix et Arles a la particularité d’être très étendu et certains curés de paroisses doivent parcourir des kilomètres pour assurer la messe dans les différentes églises et chapelles. Quelle présence faut-il envisager dans les années à venir ? Pour en parler, nous accueillons Mgr Christophe Dufour, archevêque d’Aix et Arles.

En cette période de nominations, votre souci est-il de trouver un prêtre pour chaque ville, pour chaque clocher ?

Ce n’est pas forcément un prêtre par clocher, car il y a de petites communes de 100 ou 300 habitants. La plupart a entre 1000 et 10 000 habitants. Et certaines villes regroupent 30, 40, 50 000 habitants. Donc nous sommes obligés d’une part de regrouper un certain nombre de villages et communes dont nous donnons la responsabilité à un seul curé. Et pour les villes de 150 000 habitants, nous en confions la responsabilité à un curé et souvent deux vicaires.

Donc cela crée une concentration des prêtres dans les villes et une raréfaction dans les zones rurales ?

Raréfaction au niveau du territoire, mais pas au niveau de la population. Une prêtre peut être curé de 3 églises avec 8 000 habitants, et trois prêtres peuvent avoir la charge de 60 000 habitants.

Quand on aborde la question de la raréfaction des prêtres, on entend souvent cet argument qu’il y a moins de prêtres mais il y a également moins de fidèles. Donc le ratio entre nombre de prêtres et nombre de fidèles est resté le même. Mais tout de même, il y a le problème de l’éclatement du territoire. Alors faut-il continuer à assurer le culte dans toutes les églises du territoire du diocèse d’Aix et Arles ?

Je réponds clairement : OUI ! Nous n’avons pas à fermer nos églises. La question qu’il faut se poser est la suivante : qu’est-ce que l’on entend par culte ? Dans l’idéal, je souhaiterais bien sûr que la messe soit célébrée chaque dimanche dans chaque église. Ce n’est pas forcément possible. Avant d’être évêque d’Aix et Arles, j’étais évêque à Limoges pour la Haute-Vienne et la Creuse. La Creuse regroupe 117 000 habitants (2019, NDLR), il y a 250 églises dans des petits villages de 50, 100, 150 habitants. Il y avait dix prêtres pour la Creuse. Et pourtant, j’ai la même conviction : ces églises doivent rester ouvertes. Elles ont été bâties par des fidèles du Christ pour être témoins de cette foi du Christ. L’église est elle-même témoin de cette foi chrétienne. Il suffit de trois personnes pour donner vie à cette église. Donc le culte, ce n’est pas nécessairement la messe du dimanche, même si dans l’idéal je le souhaite, mais je souhaite surtout qu’il y ait des témoins du Christ qui puissent faire vivre l’âme de cette église.

Ce que vous voulez dire, c’est qu’il y a tout de même un enjeu de visibilité à travers ce maillage du territoire… ?

Il y a en effet un enjeu de visibilité, de présence chrétienne. Je le distingue du ministère des prêtres. Quand j’étais évêque pour la Creuse, j’avais dit aux prêtres que s’ils souhaitaient, ils pouvaient créer deux communautés de prêtres pour vivre ensemble une vie fraternelle de prière et de convivialité, et qu’ils pouvaient s’organiser en mission, c’est-à-dire partir tous ensemble en mission pendant une semaine sur un territoire, plutôt que de vivre isolé.

Je pense qu’il y a d’autres manières de faire vivre une église, un lieu de culte. Par exemple, en Afrique, les populations sont beaucoup plus nombreuses, les diocèses sont beaucoup plus étendus, les moyens de communication sont beaucoup plus difficiles. J’avais rencontré un prêtre bolivien qui mettait deux jours à parcourir son territoire paroissial !

L’enjeu est le suivant : serons nous des témoins missionnaires de l’amour de Jésus, de l’amour que Dieu nous a donné en Jésus et qu’il veut donner aujourd’hui à tous les êtres humains ? C’est ce souffle missionnaire qui doit nous habiter et qui a habité les chrétiens pendant des siècles.

Donc ce que vous voulez dire, c’est qu’il ne faut pas forcément fermer les églises ou les chapelles, mais opter pour une fréquentation moins hebdomadaire mais plus ponctuelle… est-ce bien cela ?

Je vais prendre l’exemple des Baux-de-Provence. Il n’y a plus la messe tous les dimanches car le prêtre a la charge de 5 ou 6 clochers et il ne peut pas célébrer partout tous les week-ends. Mais il y a beaucoup de touristes aux Baux et un groupe de paroissiens a décidé de prier ensemble le chapelet tous les samedis et de proposer aux touristes de s’assoir pour dire au moins un Je vous salue Marie. Rien que cela, ça change tout car il y a quelques chrétiens du groupe du rosaire qui ont décidé de sortir de chez eux, de prier dans une église. Et les touristes sont touchés ! Ils ne disent pas seulement un Ave maria, mais ils en prient deux, trois… Ils restent là, ils prennent un temps de vraie prière, de silence et de recueillement. L’Eglise, ce n’est pas seulement les prêtres, mais toute l’assemblée des fidèles. Il nous faut des témoins ! Il faut que chaque baptisé redevienne un missionnaire.

Ca veut dire, une place toujours plus importante pour les laïcs?

Mais ils ont leur place ! Par le baptême, le Christ la leur donne !

J’étais dimanche à Chateaurenard pour célébrer le sacrement de confirmation de 38 jeunes et 8 adultes. Ce sont des nouveaux chrétiens. J’ai harangué la foule en leur disant : “le trésor de notre Provence, c’est sa foi chrétienne. Mais elle peut mourir ! Ravivez la foi !” Si la foi meurt et bien nos églises n’auront plus d’âme.

Peut-on imaginer pour l’avenir un système de sanctuaires ou de pôles missionnaires avec une concentration d’activités attractives?

Je pense que c’est déjà le cas. Quand on parle de culte, ce n’est pas seulement la messe du dimanche, mais c’est la prière des fidèles, un petit concert religieux, une veillée de louange, de jeûne. Ce peut-être plein de choses ! La vie chrétienne doit s’animer.

Beaucoup de mairies ont engagé des moyens financiers pour restaurer les églises donc les municipalités ne sont pas prêtes à voir l’Église catholique déserter des lieux de culte tout juste restaurés !

Je sais que les gens aiment leur église et qu’on les laisse ouvertes ! Je rencontre souvent des personnes agnostiques ou athées qui me disent aimer se recueillir dans les églises.

Comment les prêtres du diocèse d’Aix et Arles vivent-ils ces changements dans la pastorale (moins de messe)?

C’est une très grande difficulté. C’est une épreuve de voir le trop petit nombre de prêtres par rapport aux temps anciens, même si le ratio est resté le même : moins de prêtres mais également moins de fidèles.

Nous devons organiser une Eglise pour qu’elle retrouve son souffle. Elle retrouvera son souffle en se nourrissant du Christ, pas seulement en allant à la messe mais en vivant l’eucharistie avec ferveur et en déployant autour de la messe une vraie vie fraternelle, où tout le monde peut avoir sa place, y compris ceux qui ne sont pas venus à la messe. Je pense que nous devons être des missionnaires de l’amour (la charité), du témoignage de l’amour fraternel les uns pour les autres, et en particulier pour ceux qui souffrent, qui sont dans l’épreuve.

On a encore 84 prêtres en activité, une dizaine de futurs prêtres se forme au séminaire pour notre diocèse. Donc on a un moment difficile car il faut s’organiser autrement, mais nous avons cette perspective d’une Eglise missionnaire pour laquelle il n’y a pas de fatalité.