Plaisir : une théologie chrétienne de la sexualité

 Le père Jean-François Noël, curé d’Istres, Fos et Saint-Mitre-les-Remparts et psychanalyste, a publié en novembre dernier un troisième ouvrage intitulé Tous mes désirs sont devant toi. Il développe le sujet du plaisir au gré de quatre émissions réalisées par RCF. Ce troisième volet est consacré à la théologie chrétienne de la sexualité.

Père Jean-François, quand j’ai lu votre livre, je me suis dit que nous étions tous des angoissés.

Bien sûr que nous sommes tous des angoissés ! Le principe n’est pas de ne pas ‘être. Sinon ce serait de l’éviction et de l’évitement pour des techniques de relâchement, d’hypnose. Mais le principe de l’angoisse, c’est de la traverser. Pourquoi la traverser ? Parce qu’il y a une énergie terrible dans l’angoisse. S’en priver, ce serait mutilant. L’angoisse est une mauvaise réponse à une vraie question. L’angoisse vient d’interrogations qui n’ont pas encore été mises à jour, que provoquent l’autre. Regardez un enfant ou un bébé, il est angoissé de tout : il est angoissé car le biberon n’arrive pas au bon moment. Et voyez la tête que fait un enfant quand il parvient à vaincre une angoisse. L’angoisse est une énergie formidable, il faut savoir, apprendre, à en tirer parti. Ça, l’enfant sait le faire.

Et pas l’adulte ?

Nous en perdons un peu l’habitude car « chat échaudé craint l’eau froide ». Quand nous avons été blessé par tel ou tel, nous restons comme des bêtes blessées, repliées sur notre angoisse. Nous décidons que l’autre – sa culture, sa couleur, sa différence- est un ennemi. C’est une version simplifiée sur la manière dont je refuse de m’interroger sur ce que provoque l’autre en moi. Le mauvais narcissisme touche les personnes qui se refusent à rencontrer l’autre, à s’exposer à l’autre. Donc l’angoisse vient toujours de l’altérité. Dans la proximité de la vie conjugale, familiale, l’autre est toujours à la fois merveilleux et très embarrassant !

On parlait la semaine dernière du sexuel comme réponse à l’altérité. Cette altérité est fondamentale mais elle peut devenir dangereuse quand des rapports deviennent trop fusionnels…

Dans les sciences humaines, on considère que tout commence par une relation entre la mère et l’enfant. C’est pourquoi dans l’Église Catholique, on a vu se déployer tout un jeu de représentations de la Vierge à l’enfant. Il y a un enjeu extrêmement important à ce moment-là, mais qui ne va pas suffire. On va reprendre les éléments qui se jouent entre la mère et l’enfant.

L’enfant, au sortir du ventre de sa mère, s’expose à une vraie détresse : l’entrée de l’air dans ses poumons, la sortie, l’exposition, le froid… Il s’agit d’une détresse originaire, l’enfant s’expose à un monde complètement inconnu, il ne comprend pas le langage que l’on emploie. Autant l’enfant a entendu in utero la voix du père et de la mère, autant il y a une chose qu’il ne pouvait pas envisager –et j’emploie ce verbe sciemment- c’est le visage. Quand le bébé sort, il est ébloui par la beauté du visage de la mère, qui est le plus beau visage du monde car le visage est le lieu d’expression de la vie. L’enfant va dire accepter cette aventure, parce que c’est beau. Le regard ému des parents qui reçoivent le petit enfant tout juste né confirme à l’enfant qu’il est lui-même beau. Il y a trois idéaux qui vont fonder cette première relation : tu es beau et unique ; tu es digne d’amour et de tendresse que nous allons déployer à l’infini ; et enfin tout cela est véridique. Vérité, beauté et tendresse sont les premiers axes qui permettent à l’enfant d’éprouver du plaisir, d’être lui, pour lui-même.

Pour revenir sur cette fusion, vous dîtes que vous vous méfiez de l’excès de compassion. C’est étonnant pour un prêtre ! Peut-être faut-il ajouter une autre dimension dans la relation à l’autre ?

L’enfant va donc attendre de la maman une validation de son existence. Mais ça ne suffit pas, et heureusement ! Si la mère était toute puissante, l’enfant resterait collé à elle et attendrait d’elle une validation complète : « je vais rester avec toi jusqu’à la fin de mes jours car c’est toi qui dis qu’il est bon que j’existe ». Heureusement, l’enfant s’aperçoit que sa mère est très occupée : il y a son mari, les choses à faire dans la maison, les frères et sœurs. L’enfant prend conscience qu’elle n’est pas toute à lui. Dans ce petit doute qui s’immisce dans la tête de l’enfant, il y a un tiers permanent : il permet de ne pas rester dans la fusion. Une mère qui répondrait trop vite aux besoins de l’enfant finirait par en faire un objet. Et l’enfant va être tenté de devenir « l’objet » préféré de Maman. Il va falloir qu’il y ait toujours un tiers invisible, qui peut être d’abord le père, puis les frères et sœurs, puis le cercle plus large des oncles et tantes… L’enfant va progressivement ouvrir son champ de conscience à un troisième autre, qui fait que Papa et Maman ne sont pas tout pour l’enfant. Cela mène un jour à quitter nos parents, non pas pour les renier, mais pour aller voir plus loin, pour communier avec la vie. Le visage de la mère est une manifestation de la vie, qui est encore plus belle que le visage de Maman.

Cette rencontre avec l’Autre, s’agit-il aussi d’une forme de transcendance ?

Ce que l’enfant éprouve, ; il l’éprouve absolument. Il n’y a pas de nuances. Il est absolument dépendant de la mère et ce très longtemps, contrairement aux autres mammifères. Cette longue dépendance est le propre de l’homme. Pourquoi est-il si long de devenir un homme ? Pourquoi cette dépendance est-elle si longue ? C’est dans la défaillance de cette dépendance que va s’inscrire notre conscience. L’enfant va s’apercevoir que son éprouvé était absolu, mais Maman n’est pas absolue. Je fais l’hypothèse que l’éprouvé absolu du désir de l’enfant d’être reconnu est déjà un désir religieux. Je crois que l’enfant n’a donc pas seulement affaire à Maman ou Papa ou au cercle restreint, mais à celui qui les met en mouvement et en vie, celui qui s’appelle Dieu.

Si vous deviez résumer une théologie chrétienne de la sexualité, que diriez-vous ?

Toutes les rencontres que je fais, qui m’apportent à la foi angoisse et plaisir, doivent me renvoyer à un Au-delà. Ils n’y sont pour rien d’être aussi beaux, aussi séduisants, aussi sympathiques, quelqu’un anime tout cela. Ce quelqu’un, c’est Dieu. Le désir premier qui anime un enfant est un désir de « religion » –relier à- et de voir au-delà de la beauté de Maman puis de Juliette (par exemple), la beauté ultime qui serait celle de Dieu.

Dans votre livre vous écrivez que « le travail de notre vie, c’est de déloger ce Dieu vengeur et de voir en lui le Dieu intime , qui ne me veut que du bien et que je n’ai rien à craindre de lui ». Faut-il arrêter de voir Dieu comme un Dieu vengeur ?

L’autre n’est pas Dieu, mais il y mène ! Et l’autre, le conjoint, l’époux, l’épouse, doit accepter d’être envoyé sur le chemin d’une personne, mais il ne peut répondre en tout au désir d’être reconnu, accueilli, et choyé. Une vraie relation sexuelle, de plaisir, est différente d’une relation de jouissance. La jouissance est un plaisir pour soi-même. Dans une relation sexuelle de plaisir, il y a toujours l’autre, qui est un chemin qui mène plus loin. Encore faut-il que l’autre accepte d’être dépassé.