« Chercher Dieu – Quaerere Deum » : l’homélie de Mgr Delarbre pour le dimanche de l’Épiphanie

En la fête de l’Épiphanie, Mgr Christian Delarbre nous invite, comme les rois mages, à nous mettre en route pour chercher le Seigneur qui se laisse trouver.

 

Chers amis, je vous propose de méditer aujourd’hui le mystère de l’Épiphanie en m’inspirant des grandes lignes du très beau discours que le pape Benoît XVI donna aux Bernardins à Paris, lors de son voyage apostolique de 2008[1]. C’est une manière de rendre hommage au pasteur, théologien et prédicateur d’exception qui nous a quittés et vous permettre aussi d’aller par vous-même découvrir ce beau texte sur la quête de Dieu aux sources de la théologie et de la culture occidentale. Je parsèmerai ainsi mon propos de citations du pape Benoît, empruntées surtout à sa première partie, car elles me paraissent propres à éclairer ce mystère de l’Epiphanie, la manifestation du Seigneur, et à dégager du récit évangélique de la quête des mages quelques interpellations pour notre propre quête.

Au milieu de la confusion des temps, des nations, des existences, ces hommes, ces mages désirent et recherchent comme l’écrit Benoît: « la chose la plus importante: s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr. (…) Derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif. » Tel est le sens que l’on peut donner à la marche des mages à la suite d’une étoile. Pour ces savants, le seul immuable, le définitif, est le domaine céleste. Si celui-ci même est perturbé par l’apparition d’un astre nouveau, c’est qu’une réalité plus profonde, plus définitive, plus essentielle encore est à chercher et à trouver. Leur motivation est simple. « Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum. » Quaerere Deum, la recherche de Dieu. Voici ce qui a mis en route les mages, ces hommes de savoir venus des lointains de la terre. Ils se mettent en route pour rechercher le Seigneur, en se guidant sur une étoile. Ils suivent un astre pour trouver le Seigneur qui commande aux astres, le « roi des Juifs » disent-ils.  Ainsi la propre quête de Dieu est au cœur de toute personne qui, de par le monde, cherche le définitif au delà du provisoire, l’essentiel au-delà de l’accessoire. Notre motivation de vivre doit être simple et simplifie ainsi profondément notre existence: « cherchez Dieu ». Voici donc pour chacun une première interpellation: « mets toi en route, en quête de l’essentiel. Cherche Dieu. »

Notez que la science profane de celui qui cherche Dieu lui sera utile. C’est en effet bien leur observation des réalités célestes, l’étoile se levant à l’orient, qui a orienté ces mages. Le pape note que les sciences profanes indiquent les chemins de la langue. La raison et l’érudition, continue-t-il, sont la base de laquelle « l’homme apprend à percevoir, au milieu des paroles, la Parole ». Parce que ce sont des hommes de savoir, en quête de la véritable connaissance, la recherche des mages, même si elle est partielle, leur donne les paroles qui leur permettent de penser leur quête, de vouloir trouver et de se mettre en marche. Sans parole, pas de pensée. On ne pense pas les choses qu’on ne sait pas nommer. On ne peut donc les chercher. Ni les trouver. Nous devrions donc ressembler à ces mages, à ces chercheurs de sens, qui apprennent « à percevoir, au milieu des paroles, la Parole », au milieu des savoirs parcellaires, le Logos éternel, dans notre quête quotidienne du sens de ce que l’on est, de ce que l’on fait, Celui qui en est et la source et la destination. Dans nos petites découvertes du quotidien, des étapes de la grande rencontre. C’est ici la deuxième interpellation: « perçois, à travers les paroles, questions et recherche de ton quotidien, la venue vers toi de la Parole divine. »

Ces paroles partielles d’un savoir limité mènent donc les mages à la Parole. En effet, nous dit Benoît: « il ne s’agit pas d’une aventure dans un désert sans chemin, d’une recherche dans l’obscurité absolue. Dieu lui-même a placé des bornes milliaires mieux, il a aplani la voie (…) Cette voie était la Parole qui, dans les livres des Saintes Écritures, était offerte aux hommes » Ainsi, le chemin tracé par l’étoile du savoir profane est relayé par le chemin que balise l’Écriture. Les sages d’Israël peuvent répondre à leur question « où chercher et trouver le roi des juifs ? » et désigner l’étape suivante de leur quête. « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète ». C’est la troisième interpellation: « toi qui chemines et questionnes, interroge la parole de Dieu, mets-toi à l’école de la Bible. Fréquente quotidiennement l’Évangile. » Car écrit Benoît: « dans la parole biblique, Dieu est en chemin vers nous, et nous vers Lui ».

À ce propos, il ajoute que « la Parole ne conduit pas uniquement sur la voie d’une mystique individuelle, mais elle nous introduit dans la communauté de tous ceux qui cheminent dans la foi. » En effet, ces mages ne se contentent pas d’ouvrir les Écritures: comment ne s’y seraient-ils pas perdus ? Non, ils sont introduits dans une communauté croyante: « tous les grands prêtres et les scribes du peuple » C’est une crainte fréquente chez les chrétiens de ne pas savoir comment lire la Bible. Cette crainte est légitime car il appartient à l’objet même des Écritures de constituer une communauté croyante. Elles ne se donnent pas dans une quête individuelle, une lecture uniquement personnelle, elles se lisent, s’écoutent et s’interprètent dans une communauté croyante. C’est notre quatrième interpellation : « avec qui lis-tu, partages-tu les Écritures ? Quel groupe de lecture fréquentes-tu ? Dans quelle communauté chrétienne peux-tu entendre et partager, écouter et interroger les Écritures devenues parole de vie, et balise précieuse guidant vers la rencontre du Seigneur. À quelle source ecclésiale vas-tu puiser la Parole divine ? »

Enfin, le chemin et la recherche sont destinés à une véritable et authentique rencontre. Celui qui cherche, trouve vraiment. Ceux qui cheminent, parviennent réellement au but. La quête de ces mages ne s’est pas avérée vaine, ni leur récompense, partielle. Dans la disponibilité totale, nue même, du petit Enfant, celui qu’ils cherchaient de tout leur cœur s’offre à eux. S’ils se prosternent, s’ils s’inclinent, s’ils se mettent à genoux, c’est pour s’approcher de celui qui s’est placé plus bas que nous. La quête à la poursuite d’une inaccessible étoile les a conduit à celui que nos yeux ont vu et nos mains ont touché comme l’écrit l’apôtre Jean dans sa première épitre. L’auteur de l’étoile repose dans la crèche. L’objet de la quête ultime est entre nos mains. L’essentiel de notre vie, la source même de notre existence, son but ultime, son origine, son commencement et sa fin, le Verbe de vie, nous le contemplons, nous l’entendons, nous le touchons et nous l’annonçons. C’est ici la cinquième et dernière interpellation de ce propos : « cherche le Seigneur, car il se laisse trouver, et le trouver te réjouira d’une grande joie qui jamais ne s’éteindra ! »

Amen.

 

Mgr Christian Delarbre

Archevêque d’Aix et Arles

 

[1] https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2008/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20080912_parigi-cultura.html