Méditations du Lundi de Pâques

Message de Mgr Christian Delarbre aux fidèles du diocèse d’Aix et Arles

De bon matin, en ce lundi de Pâques, le chroniqueur de France Inter fait, comme il se doit, des blagues sur Jésus « pas plus ressuscité que le ministère de Madame Borne après la réforme des retraites ». Nous prêchons il est vrai un « messie crucifié, ineptie pour les païens »[1] et il n’y a guère à s’en offusquer tant il est préférable d’être moqué pour ce que l’on fait de bien qu’à cause de nos fautes[2].

Je célèbre l’Eucharistie dans l’Octave de Pâques en mémoire de mon père dans le ministère, l’abbé Yves[3]. Simple curé de campagne du Gers, il s’est endormi dans la mort la nuit du vendredi saint au samedi saint, accompagnant ainsi au sépulcre le Seigneur. Vivre chaque jour dans la pensée de notre Pâques prochaine, de notre mort dans le Christ et approcher chaque jour de la mort dans la certitude de foi de notre résurrection. La résurrection, c’est notre quotidien. Vivre en sachant que nous allons mourir et mourir en attendant la vie. Cela seul nous permet de distinguer chaque jour ce qui est réellement important, ce qui mérite vraiment notre attention, ce qui est digne d’occuper nos journées et d’y user nos forces et ce qui n’est que fumée dissipée par le vent.

L’Evangile de dimanche avec ce vers de la Petite Thérèse : « Au sépulcre saint, Marie-Madeleine / Cherchant son Jésus, se baissait en pleurs »[4] me font penser avec tristesse aux victimes ensevelies à Marseille dans la nuit de Pâques, à leurs familles éplorées, à leurs recherches désespérées. Contre toute espérance, Marie-Madeleine trouva la pierre du tombeau ébranlée, jetée à bas, elle courut, et les disciples aussi, et la pierre d’incrédulité fut ôtée du cœur du disciple : « Il vit et il crut ». Cet ébranlement s’est propagé jusqu’à nous. Courrez avec les disciples, approchez le tombeau ouvert, entrez à votre tour. Que vous soyez comme eux ébranlés, bouleversés, que votre cœur de disciple, ayant vu, croit ! Et que par votre foi, les montagnes de désespoir qui ensevelissent le monde soient elles-mêmes ébranlées[5] ! Aujourd’hui, toutes les pierres de toutes les tombes, et celles des morts les plus cruelles, deviennent des portes vers le Ciel.

Je revois le regard lumineux des jeunes baptisés de la Veillée Pascale sortant ruisselant de la fontaine de vie, le regard ému d’un cœur touché par la grâce. Ou ce regard grave empreint d’une céleste crainte. De l’autre côté de l’Europe, des jeunes tout pareil meurent ce matin. Et des gamins de Marseille tuent d’autres gamins. Des morts aux ordres des puissances de ce monde. « Combien encore faudra-t-il de morts pour qu’il se dise que ça fait trop de morts ? »[6] La réponse est vaine comme le vent : les Puissances règnent sur ce monde comme elles régnaient ce jour-là, veille de sabbat à Jérusalem. D’autres soldats. D’autres morts. D’autres croix. Des Pilate et des pharisiens. Des meurtriers. Des assassins. Mais par le messie crucifié, roi dont le royaume n’est pas de ce monde, le vêtement blanc, le cierge pascal et l’onction qui fait de nous d’autres messies, nous échappons aux Puissances !

Je déambule le long de l’étang de Berre, bleu et calme sous le ciel de Provence, une voile au loin, comme au temps des pécheurs du lac de Tibériade, le Seigneur sur la grève les attendant.

Le voici à mes côtés, puisqu’il est vrai qu’Il vient toujours sur la rive où nous nous trouvons.

Quant au chroniqueur de France Inter, il peut bien en rire.

 

Lundi dans l’Octave de Pâques, 10 avril 2023.

Mgr Christian Delarbre

Archevêque d’Aix et Arles.

[1] 1Co 1,23.

[2] D’après 1P2,20 : « Si vous supportez des coups pour avoir commis une faute, quel honneur en attendre ? Mais si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. »

[3] Abbé Yves Caunois, prêtre du diocèse d’Auch, 1932-2023.

[4] Thérèse de Lisieux, « Au Sacré-Cœur de Jésus », Un Cantique d’Amour. Poésies, Paris : Cerf/DDB 1991, p.130.

[5] D’après Mt 17,20 : « Amen, je vous le dis : si vous avez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous direz à cette montagne : “Transporte-toi d’ici jusque là-bas”, et elle se transportera. »

[6] « How many deaths will it take till he knows that too many people have died ? », Bob Dylan, Blowin’ in The Wind, 1963.