Maurice Blondel et la bioéthique

 

Depuis quelques années, nous assistons à un retour en force de la réflexion fondamentale en matière éthique. Il faut dire qu’en cette période de grandes mutations, l’homme contemporain est confronté à de multiples défis qui le contraignent à des options morales. L’un de ces défis majeurs est celui qui concerne ce qu’on appelle la bioéthique, discipline relativement nouvelle qui examine les problèmes moraux posés par les sciences et les techniques biomédicales modernes.

Comme d’autres, les chrétiens entendent bien donner leur avis sur ces questions et c’est évidemment une bonne chose qu’ils le fassent. Il ne faudrait pas, cependant, qu’ils se contentent d’une approche émotionnelle ou trop exclusivement confessionnelle. Car le drame de la bioéthique actuelle, c’est qu’elle se cantonne à des perspectives utilitaristes ou scientistes et ne se soucie guère des fondements rationnels de l’agir moral, ni de l’existence de normes morales objectives. C’est pourquoi d’ailleurs elle ressemble plus souvent à une grande foire aux idées qu’à une réflexion vraiment rigoureuse. Il est donc essentiel que les chrétiens, tout en assumant pleinement leurs convictions de foi, fassent résolument confiance aux ressources propres de l’intelligence, perçoivent bien la dimension proprement rationnelle des problèmes éthiques et prennent ainsi leur part à la discussion nécessairement pluraliste des enjeux majeurs qui les concernent.

Maurice Blondel n’a pas connu les débats actuels sur la bioéthique. Mais on peut dire que, d’une certaine manière, il les éclaire par avance et par le haut, et c’est pourquoi la réflexion morale fondamentale ne peut que s’enrichir à son contact.

Le récent colloque qui lui a été consacré à Aix-en-Provence sous le titre de « la philosophie comme sainteté de la raison » en apporte, s’il est besoin, une éloquente confirmation. La pensée de Blondel projette sur les questions éthiques une lumière précieuse car elle nous encourage à les aborder non pas d’abord en bibliste ou en théologien mais en philosophe. Chrétien convaincu, Blondel sait très bien que ses références ultimes sont théologiques et que la raison humaine n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle s’incline humblement devant ce qui est au-dessus d’elle. Mais cela ne l’empêche pas, au contraire, de croire à l’intelligence et à sa capacité d’éclairer les questions morales. Le pape Jean-Paul II a souligné chez lui l’alliance de « la recherche philosophique la plus courageuse avec le catholicisme le plus authentique ». Je souscris entièrement à ce jugement qui montre combien la pensée de Blondel est toujours actuelle et mérite d’être étudiée.  Elle offre, en effet, une solide réflexion métaphysique sur la personne humaine, réflexion qui est trop souvent absente des débats moraux contemporains, notamment dans le domaine de la bioéthique.

Père Jean-Yves Thery

 

Aliette de Vismes travaille à l’Institut Universitaire Saint-Luc. Elle a participé au colloque et nous livre son témoignage :

 

Maurice Blondel, un philosophe pour aujourd’hui ?

Le 15 et 16 novembre s’est tenu, dans les murs de la Maison Diocésaine, le colloque Maurice Blondel (1861-1949), philosophe chrétien, ayant vécu à Aix-en-Provence.

L’association des amis de Blondel, présidée par Marie-Jeanne Coutagne, à l’occasion des 70 ans de la mort du philosophe, a rassemblé de nombreux spécialistes, enseignant dans différentes universités catholiques françaises et européennes, et de nombreux auditeurs philosophes en herbe ou bien plus avertis. Le thème d’étude étant : « La philosophie ou la sainteté de la raison ».

Les différentes interventions, de haute volée, ont permis tant aux néophytes, qu’aux spécialistes d’entrevoir toute l’actualité de la pensée de ce philosophe et d’y puiser des richesses pour notre temps.

Pour ma part j’ai découvert ce philosophe durant ce colloque et sa réflexion sur le thème de l’humilité comme source de liberté m’a tout particulièrement marquée. En effet on a plutôt tendance à opposer ces deux termes, surtout aujourd’hui où l’expression de la liberté passe par l’affirmation de son ego.

Blondel développe, tout au long de son œuvre, une pensée sur la « mortification, qu’il définit comme le processus qui consiste à se dépouiller de ses premiers désirs, de son instinct, pour révéler notre vrai désir et passer ainsi du « je » au « nous ». La personne ne peut avancer et être féconde qu’en se dépossédant de ses projets, en se décentrant de soi pour se tourner vers les autres et vers Dieu. Ainsi, dans la vie spirituelle, la « mortification » permet de laisser la place à Dieu pour agir en nous ; travail d’enfantement de la présence de Dieu en nous qui ne se fait pas sans douleur.

Pour Blondel, l’action est le moyen d’accéder à la vraie liberté, elle prime sur la parole. Elle permet, loin de nous enfermer dans une affirmation de soi stérile, d’engager ce processus de mortification. Elle est le ciment pour nous unir aux autres, à Dieu et faire l’unité en nous-même. La charité, la foi en action par excellence, permet la réconciliation entre la vraie volonté de l’homme et le vouloir divin.

 

 

 

Photo Association Blondel- droits réservés