Homélie prononcée par Mgr Delarbre pour la messe chrismale

La messe chrismale qui nous réunit ce soir est la manifestation la plus haute de l’Eglise du Christ. L’unique Eglise du Christ, visible et invisible, humaine et divine, pérégrinante et triomphante, l’Eglise une et entière, se donne à voir en son mystère, à connaître et à participer ici et maintenant, en ce lieu et ce temps particulier. Vous êtes l’Eglise ! Le percevez-vous ? Le ressentez-vous ?

Le Peuple Chrétien est en effet rassemblé de façon visible autour du ministère apostolique et il écoute ensemble la Parole de Dieu qui l’a convoqué et il célèbre ensemble le sacrifice eucharistique. Or, ce rassemblement, cette écoute, cette célébration, bref cette manifestation de l’Eglise, ne peut être portée par nos seules forces humaines. Pour cela, il nous être consacrés dans l’Esprit Saint. Or, le peuple chrétien est héritier de la consécration du Christ, l’oint du Seigneur, et il l’a reçue par l’onction d’huile sainte lors de son baptême, de sa confirmation. Par cette consécration dans l’Esprit Saint, nous pouvons participer à la mission de salut du Christ. En la personne de Jésus, la divinité a consacré son humanité pour que son humanité participe à sa divinité. A sa suite, notre humanité étant consacrée dans l’Esprit Saint, nous participons activement, ensemble et chacun selon notre ordre, à l’œuvre du Père, à la mission du Fils.

Le peuple chrétien consacré par l’huile sainte est donc rassemblé aujourd’hui autour du ministère apostolique de l’évêque, successeur des apôtres. Celui-ci est entouré de ses deux ordres de collaborateurs, les prêtres pour le sacerdoce, les diacres pour le service de la charité. Deux ordres de collaborateurs établis depuis la plus antique tradition des apôtres, car le culte rendu à Dieu, dont l’évêque est le Grand Prêtre, suppose et le sacrement de l’autel, prière du Christ Jésus élevée vers le Père par le sacrifice de sa vie et le sacrement du frère, en lequel nous reconnaissons et servons le Christ qui s’est rendu semblable aux petits. Il ne saurait y avoir de véritable et légitime culte rendu à Dieu qui ne réunisse et l’amour de Dieu et l’amour du frère. L’action liturgique associe donc autour de l’évêque les deux ordres de ministres prêtres et diacres. Et c’est une grande grâce pour chaque assemblée paroissiale, lorsque le prêtre présidant au sacrifice eucharistique, est servi par le diacre : le culte de l’amour de Dieu et du prochain, véritable sacrifice de miséricorde, est alors mieux manifesté au sein du peuple chrétien.

La consécration du peuple de Dieu n’est pas différente de celle du Christ, ni distincte. Elle n’est pas reçue de manière indépendante, comme une propriété qui nous appartiendrait une fois pour toutes, elle est un lien vivant et vivifiant, un lien sanctifiant. C’est pourquoi, au service de la consécration du baptême et de la confirmation (qui n’en sont qu’une) et de son activité dans le corps ecclésial, et afin de la recevoir toujours comme un don, le Seigneur a institué cette consécration seconde qui fait l’évêque et les prêtres. Elle est de l’ordre du service, du ministère dit-on. Ainsi chacun reçoit ce qui fait de lui un chrétien par ceux-là qui vont signifier l’action du Christ et la rendre présente au milieu de nous. Il s’agit de la consécration sacerdotale de l’évêque, en premier lieu, puis des prêtres ministres du même sacerdoce et recevant donc la même onction ministérielle. Ils sont tous au service de la consécration baptismale. Quant aux diacres, n’étant pas ordonnés au sacerdoce mais au service de la charité, ils ne reçoivent pas cette consécration.

C’est pourquoi tout à l’heure, les prêtres avec l’évêque vont renouveler les promesses de leur consécration qui les a faits ministres et serviteurs du peuple chrétien. De même que nous tous, ensemble baptisés/confirmés, lors de la veillée pascale, nous renouvellerons aussi les promesses de notre consécration baptismale, promettant d’être fidèles au don reçu et de nous dévouer à la mission à laquelle nous participons. L’huile sainte que nous allons tout à l’heure consacrer est ainsi l’instrument visible et de la consécration baptismale et de la consécration sacerdotale. L’onction d’Esprit Saint est donnée visiblement par le geste de l’onction d’huile sur le front des baptisés/confirmés, sur les mains du prêtre, sur la tête du grand prêtre qu’est l’évêque.

Sans doute plusieurs penseront que ce propos catéchétique est austère, superflu, peut-être comme certains aiment à dire « déconnecté de nos réalités ». Mais les réalités passent, le mystère demeure. Je reconnais volontiers que mon expression orale est certainement obscure, inapte à rendre attractifs les mystères divins. Mais ne vous y trompez pas, ce que je tente maladroitement d’enseigner est le véritable bien de l’Eglise. Détaché de l’ordre du mystère, nous ne sommes plus que des feuilles mortes emportées par la tempête. De l’Eglise, si nous en ignorons le mystère, il ne nous restera que des opinions toutes faites, des critiques communes à toutes les institutions : sclérosée, inadaptée, inutile, en déclin. Sur l’Eglise, nous n’aurions que des sentiments mondains : désir de puissance, de reconnaissance, ou découragement, reniement, division, raidissement de la peur, désir de schisme, esprit de chapelle, rapports de force. De l’évêque, des prêtres et des diacres, des visions purement humaines de pouvoir et de structures, de fonctions et de préséances, de reconnaissance et de gloriole, de places et de concurrence.

Or, je vous le dis, mes amis, nous sommes un peuple saint par l’onction sainte de Dieu. Malheur à nous si cette sainteté reçue par l’onction du baptême, de la confirmation, et en outre du ministère sacerdotal, nous n’y participons pas de toute notre vie, de toute notre force. Malheur à nous si de cette consécration nous n’osons pas la mission. Nous rendons compte devant Dieu et devant les hommes de ce que nous faisons de notre onction baptismale. Et doublement pour les ministres, qui rendent compte en outre de leur onction sacerdotale. Que Dieu prenne donc en pitié le peuple de baptisés que nous sommes et qu’il prenne doublement en pitié le peuple des ministres. Mais c’est bien au nom du mystère saint qu’est l’Eglise et selon son ordre que nous pouvons et devons inlassablement purifier nos manières d’être, d’agir, d’annoncer, de servir, de se dévouer, non en nous attachant à de simples vues humaines, mais les yeux constamment fixés sur le mystère qui nous a fait renaître. Amen.