Homélie de Mgr Delarbre: Messe de rentrée des étudiants 17 septembre 2023

Homélie de Mgr Christian Delarbre, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles

Messe de rentrée des étudiants

Dimanche 17 septembre 2023, église du Saint-Esprit

 

Je vous propose de recevoir de l’Ecriture que nous venons d’entendre quelques éléments de catéchèse au sujet du pardon. Alors installez-vous bien pour ce propos que je vais développer un peu longuement en espérant que vous ne le trouverez pas long !

Le premier de ces éléments est une chose essentielle : c’est à Dieu que l’on demande pardon, lui qui est toute miséricorde. En retour, le Seigneur demande à chacun de pardonner à son prochain, de lui remettre sa dette. C’est d’ailleurs ainsi que nous le disons dans le Notre Père : pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Tel est aussi le sens de la parabole : le Seigneur t’a remis ta lourde dette, et toi, ne sauras-tu pas remettre à ton prochain ? J’insiste sur cela car très souvent, on croit que c’est vertu de demander pardon à celui que l’on a offensé. Mais il faut prendre garde car ce n’est rien de demander pardon, c’est beaucoup de l’octroyer. Il est difficile de pardonner et trop facile de demander pardon. Ainsi : non seulement tu as fait du tort à ton frère, mais tu te présentes à lui tout bonnement en « lui demandant pardon » et en faisant ainsi porter sur lui le poids de donner le pardon ? Je t’ai fait du mal, mais tu vois Dieu te demande de me pardonner, alors je te demande pardon. Et voilà ! C’est un peu facile ! Le Seigneur te pardonne, mais ton prochain te pardonnera-t-il ? Et de quel droit pourrais-tu l’exiger et même le demander ? Pardonne donc toi-même à celui qui t’a offensé, en priant le Seigneur que celui envers qui tu as une dette veuille te la remettre comme Dieu le fait.

« Quand tu sais que ton frère a quelque chose contre toi, va te réconcilier avec ton frère » dit l’Ecriture. Alors, peut-être, avec la grâce de Dieu, te pardonnera-t-il. Qu’est-ce que se réconcilier avec son frère ? En premier lieu, c’est reconnaître devant lui le tort que je lui ai fait ; en second lieu, c’est de le réparer autant qu’il est possible de le faire. Il ne sert à rien de demander pardon, c’est même une attitude hypocrite si tu ne reconnais pas le tort que tu as fait et si tu ne fais pas ton possible pour le réparer. De même, il est très légitime et même nécessaire de demander la vérité et la justice à celui qui t’a fait du tort, mais il n’y a pas à attendre de quelqu’un qu’il te demande pardon. C’est à toi de l’accorder ou non, librement, gratuitement, comme le Seigneur te le demande.

 

Une autre chose à laquelle je vous éveille concernant le pardon. La parabole, comme le texte du Notre Père dans les Evangiles, utilise l’image de la dette. Pardonner à quelqu’un, c’est lui remettre sa dette. Or, il y a deux manières d’être le créancier de quelqu’un ou son débiteur. Deux manières d’avoir une dette envers quelqu’un. Il y a la dette du mal que l’on m’a fait et dont je peux vouloir le remboursement ou au contraire, à la demande du Seigneur, accepter d’en octroyer la remise. Mais il y a une autre dette, souvent bien plus grande, c’est celle du bien que j’ai fait à quelqu’un ! Ce bien aussi est à pardonner. Je dois pardonner à l’autre le bien que je lui ai fait. Sinon, toute sa vie, je lui en ferai le reproche, ou je chercherai à en obtenir le remboursement. « Après tout ce que j’ai fait pour toi ! » disent des parents mal avisés à des enfants qu’ils tiennent pour ingrats, alors que le sage sait que la dette que l’on a envers ses parents, on la rembourse avec ses propres enfants… La gratuité, la main gauche qui oublie ce qu’a donné la main droite, est un pardon qu’il n’est pas si simple à octroyer pour les cœurs mesquins ! Or, justement, la dette que nous-même avons envers Dieu est moins la dette de nos fautes à son égard, que l’immensité incalculable des bienfaits dont il nous a comblés gratuitement et que nous avons reçus avec ingratitude. Et c’est en premier lieu cette dette dont le Seigneur ne demande pas le remboursement.

 

Troisième considération sur le pardon. Il peut être très difficile de pardonner le mal qu’on nous a fait, surtout si jamais cela n’a été reconnu en vérité et si jamais il n’y eu une réparation et si cela est resté en nous comme une grave et douloureuse injustice objective. C’est très difficile et pourtant, le Seigneur nous le demande. Il est donc bien normal de trouver dure la parabole de Jésus si vous avez été victime d’un grand mal, si l’on vous a fait un grand tort. Vous pouvez très légitimement vous dire : « mais je n’ai jamais fait un tel tort au Seigneur ou à quiconque ! Malgré mon péché, je n’ai pas accumulé un tel crime sur ma tête… » Notez bien qu’en tenant de tels propos, vous devez vous même faire la vérité sur le réel tort, objectif, qui vous a été fait et non seulement sur ce que vous ressentez. Par exemple, nos blessures d’amour propre sont souvent bien saignantes, mais elles ne sont que ce qu’elles sont, des blessures d’amour propre que l’on devrait ignorer et tenir pour nulles et non avenues.

Deux considérations peuvent nous aider à donner ce pardon dans des situations difficiles ou douloureuses. Comme je le disais plus haut, notre dette envers le Seigneur n’est pas seulement la somme de nos péchés envers lui, mais cet état où nous avons reçu avec ingratitude l’immensité de ses bienfaits. Il nous donne l’être et la vie. Il nous donne son amour et d’être aimé par lui. Tout cela gratuitement, malgré notre état de séparation, de péché, de révolte intime de l’être humain envers son créateur, d’ingratitude d’enfants envers leur Père du Ciel. Quand on réfléchit ainsi, on doit être pris de vertige et comprendre mieux la grande dette que nous avons envers lui. Il peut donc être d’un très grand secours, lorsque nous avons à pardonner à celui qui nous a fait un tort réel et cruel, de nous souvenir tout ce que nous devons et recevons du Seigneur.

Mais il faut aussi considérer que le pardon a un effet médicinal et qu’il est de notre intérêt de pardonner. Le mal que l’on vous a fait est contagieux. Il vous entraîne à sa suite, il vous aliène dans ses entraves douloureuses. Le mal que l’on vous a fait va vous conduire au mal : colère, haine, désir de vengeance, désolation, mal fait à soi-même ou à des tiers innocents. Le mal est contagieux et la faute des pères retombe sur les enfants. Seule, mes amis, la puissance du Christ et de son pardon vous en délivre. Il brisé le mur de la haine. Ce n’est pas qu’une belle expression, c’est une réalité existentielle. Il guérit le mal que l’on vous a fait, même s’il ne guérit pas l’auteur de ce mal.

La dette de la parabole est une chose étrange. En plus de ce que j’ai déjà dit à son propos (dette du mal et dette du bien) la dette représente aussi un lien avec celui qui nous a fait du mal. Ce lien est une chaîne, une entrave cruelle. Le Seigneur lui-même a déchiré sur la croix ce contrat d’esclavage, il est mort pour la rémission des péchés. Seul il a la puissance de nous libérer de cette chaîne en nous pardonnant et en nous octroyant la grâce de pardonner. Eh bien, pardonner à celui qui t’a fait du mal vous libère de cette chaîne, de cette entrave qui ne cesse de vous relier et de vous contraindre à une relation qui fut établie sur le mal commis, et donc qui est une destruction, une souffrance. Il est donc de votre intérêt vital de rechercher et d’emprunter un chemin de pardon qui vous libérera du mal que l’on vous a fait, quand bien même l’auteur de ce mal n’aura pas changé, n’aura pas reconnu, n’aura pas réparé, et sera resté obstiné dans sa faute. Mais ce jugement-là ne vous appartiens pas.

Demandez donc au Seigneur la grâce de pardonner et d’être ainsi libéré du mal que l’on vous a fait. Laissez à Dieu le soin de juger le méchant, et quant à vous, vivez en paix dans la grâce de Dieu qui vous a libéré de tout mal !

Amen.