Homélie de Mgr Delarbre: Fête de la saint Luc au séminaire 18 octobre 2023

Homélie de Mgr Christian Delarbre, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles

Fête de la saint Luc – Admissions et institutions
Mercredi 18 octobre 2023

Dans l’Evangile prévu pour la Saint Luc, je vous invite à remarquer combien le terme de « maison » est fréquemment employé. Ces maisons se trouvent dans les « villes et localités » où le Seigneur envoie ses disciples, deux par deux. Elles ne sont pas des habitations isolées, mais se trouvent au contraire dans des agglomérations de tailles diverses. Quand on compte le nombre de maisons et d’appartements dans notre diocèse, il convient en effet de prier avec grande ferveur le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson ! C’est une pensée que j’ai souvent lorsque je contemple la ville le soir, vous ai-je certainement déjà dit : « Mon Dieu derrière chacune de ces fenêtres, une famille, une personne, sa vie, ses drames. Un être qui vient de naître au monde. Un être proche de sa fin terrestre. Aimé de Dieu et qui ne le sait pas » L’immensité de la métropole est une provocation à la foi. A confesser la puissance divine qui peut aimer dans son particulier chacune de ces personnes ignorées de vous et vous vous sentez soulevé par un désir immense de les rencontrer et de le leur dire, aussi nombreuses soient-elles et quelles qu’elles soient !

Celui qui est envoyé au milieu des villes et villages est ainsi provoqué à la foi. Je crois cela profondément encourageant pour ceux qui aujourd’hui célèbrent une étape dans le chemin vers le ministère sacerdotal. Comme les disciples, vous êtes envoyés dans les villes et localités du diocèse que vous avez choisi, comme aujourd’hui Jean Marie et Joseph par leur admission, et pour porter la Bonne Nouvelle et servir la Parole « en toute ville et localité » comme Thomas et Damien qui sont institués. Et le Seigneur vous a précédé. Son mystère d’Alliance est déjà à l’œuvre. Et cela par amour de gens très concrets, que vous ne connaissez pas encore, mais que le Seigneur vous fera la grâce de rencontrer, de découvrir, de servir, pour peu que, sans peur aucune et avec joie, vous alliez « comme des agneaux au milieu des loups » avec cette innocence qui ne craint rien.

Notez bien que la méthode demandée par le Seigneur n’est pas celle qui fut autrefois demandée au prophète Jonas traversant la grande ville de Ninive. Il ne lui dit pas de crier sur la place publique… Il lui dit d’entrer dans les maisons ! Au contraire de toute action visible ou publique, il lui demande même de n’adresser la parole à personne tant qu’il n’est pas entré dans une maison… Dans mon expérience de prêtre, c’est une réalité très forte. Entrez dans une maison, allez voir les gens chez eux. À défaut d’y entrer au hasard, ce que je n’ai jamais fait, au moins peut-on entrer chez ceux qui vous ont appelé, n’est-ce pas ?

Entrer dans une maison, quel privilège… Et comment donc s’en priver ? Pour un prêtre, il y a dans ces rencontres la source même de sa vie et de son bonheur de prêtre ! Chers amis, vous faites étape vers le sacerdoce. Profitez de toutes les occasions que vous pouvez avoir pour entrer dans des maisons où l’on vous invite pour la première fois. Que sais-je ? Aller parler du caté à des parents ? Visiter une personne malade ? Rendre visite à des jeunes avec lesquels on a fait connaissance ? Profitez de toute occasion pour rendre visite. Vous êtes institués pour porter la Parole. Pour prier avec des foyers. Pour porter l’Eucharistie à des malades. Vous accomplirez votre ministère semblablement dans les maisons, lieu de l’Eglise domestique, comme dans la Maison Eglise où se réunit l’assemblée dominicale.

Le Seigneur nous demande d’y entrer avec à la bouche les paroles, plus encore, l’attitude de paix. Tu ne sais pas ce qui fait la vie concrète des gens, mais toi tu viens en paix. Viens avec la paix au cœur, la paix dans le regard, la paix sur les lèvres, de sorte que s’il y a un ami de la paix, il puisse la recevoir, cette paix qui vient du Seigneur. C’est la paix que donne le Christ ressuscité. Elle est une harmonie, une concorde. Elle est un don. La Paix du Christ est fondation, pierre angulaire, rocher inébranlable. Apportée dans la maison, elle en bâtit les murs. Elle est un lieu où l’on demeure. Ce lieu intérieur que l’on transporte avec soi et qui fait que l’on est sans crainte où que l’on aille et que des humains qui l’accueillent y bâtissent sur elle leur demeure. La maison où tu entres, en ami et porteur de la paix, en sera changée !

Autre consigne missionnaire du Seigneur, une fois entrés et venus en paix, « restez dans cette maison » et prenez ce que l’on vous offre. Vous ne venez pas en représentant de commerce, ni en releveur des compteurs d’eau, n’est-ce pas ? Vous venez en ami de la paix, et celui qui vous accueille veut avoir la grâce d’exercer l’hospitalité, et toi la grâce d’être reçu. Avant que toute parole soit échangée, garde toi d’être pressé de parler, de faire que la rencontre soit comme tu te l’imagines, comme tu l’as prévue, qu’elle soit utile selon ton idée… Tu passerais certainement à côté de l’essentiel. Laisse-toi accueillir. En buvant un café, en acceptant un biscuit, tu deviens le compagnon de ceux qui t’accueillent, ceux avec qui tu partages le pain. Avant de partager le pain de la parole et le pain de la prière que tu as sans doute apporté avec toi, accepte et reçoit et accueille du fond du cœur le pain de l’hospitalité…

« Ne passez pas de maison en maison » dit le Seigneur ! Je traduis cela : « ne paniquez pas les enfants ! » Le vertige te prend devant des barres d’immeubles où tu ne connais personne, sauf ici, cette fenêtre, où tu es venu une fois. Devant des quartiers immenses où tu n’es jamais entré, sauf là cette maison. Et où le Christ est ignoré de beaucoup, voire y rencontre de l’hostilité. C’est sans fin. C’est infini. C’est le sable au bord de la mer. Pas de panique ! Je t’ai dit qu’il n’était pas possible qu’un prêtre se prive de la joie et prive autrui de son ministère en ne visitant pas ses paroissiens. Je n’ai pas dit qu’il pourrait tous les visiter… Ne passe pas de maison en maison. Fais tout ton possible, le Seigneur s’occupera du reste. D’ailleurs, que crains-tu ? La paix que tu as allumée ici, comme une lumière dans cette maison ? Elle est déjà passée chez les voisins. Le café et le biscuit partagés au bord du lit d’une personne âgée ? Ils se sont multipliés comme un grand festin, après ton départ… Il faut éviter deux pièges du démon. L’acédie qui dit « à quoi bon » et te décourage avant même de commencer à cause des foules innombrables ignorantes du Christ. Celui-là n’a le temps de rien faire, sauf de se complaindre. Et l’autre acédie qui dit « plus vite, plus vite encore, encore » et s’épuise sans fruit. Donc le Seigneur te le dit, je t’envoie dans une ville, mais ne passe pas de maison en maison.

Ainsi, tu leur diras : « Le règne de Dieu s’est approché de vous », leur annonçant la Parole, l’Evangile de l’amour et de la miséricorde du Seigneur, les gestes et paroles de guérison et de soulagement, les paroles et prières de bénédiction (c’est cela aussi le ministère institué), la Présence de Jésus dans l’eucharistie. En fait de Royaume, c’est toi d’abord qui te seras approché d’eux, et eux de toi. Bienheureux ! Tu recevras ce que tu es venu apporter …

Amen