Homélie de Mgr Delarbre: Messe d’ordinations de diacres permanents 19 novembre 2023

Homélie de Mgr Christian Delarbre, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles

Messe d’ordinations de diacres permanents :

Serge Giannuzzi, Pierre Gérard, Luc Prévot, Antoine Rabany,

Dimanche 19 novembre 2023, Cathédrale Saint-Sauveu

 

La première lecture, tirée de l’antique Livre des Nombres, fait référence à la tribu de Levi : « Fais approcher la tribu de Lévi : qu’elle soit à la disposition du prêtre Aaron pour l’assister. Les lévites prendront soin de tout ce qui est confié à sa garde, et à celle de toute la communauté. » Cette référence doit être importante puisque nous la retrouverons tout à l’heure dans la prière d’ordination : « comme autrefois, déjà, dans la première Alliance, tu avais mis à part les fils de la tribu de Lévi pour le service de ta demeure. » C’est un héritage de l’Eglise antique qui reprenait de la première alliance la distinction entre le service sacerdotal et le service lévitique et l’appliquait à l’évêque, aux prêtres et aux diacres. Dans la compilation de traditions du IVème siècle que l’on appelle les Constitutions apostoliques, on trouve ainsi : « Écoute, Église sacrée et catholique […]. Car ce sont eux [les évêques] vos pontifes ; vos sacerdotes, ce sont les presbytres, et vos lévites ce sont à présent les diacres[1]. » Cette référence ancienne au service lévitique a pour but de mettre l’accent sur un point aussi essentiel et caractéristique du ministère diaconal qu’il est méconnu, à savoir d’être ordonné par l’évêque pour collaborer à la constitution du corps ecclésial, à prendre soin de toute la communauté et à servir la Demeure du Seigneur qui est l’Eglise.

L’action liturgique du diacre dans le Missel est d’ailleurs la traduction en gestes et paroles de cette mission de rassembler la communauté ecclésiale. Le diacre proclamera l’Evangile, car la parole de Dieu rassemble et convoque l’Eglise. Le diacre prononcera la Prière Universelle, réunissant par sa voix, la prière de tous les fidèles, et les disposant ainsi au sacrifice eucharistique. Le diacre recueillera et présentera les offrandes apportées par les fidèles. Notez qu’il avait soin autrefois de les distribuer équitablement aux plus nécessiteux de la communauté. Il élève la coupe pour toute l’Eglise, la coupe du sang versé pour la multitude, lors de la doxologie, dans un geste d’offrande sacrificielle. Il dit à tous « donnez-vous la paix », de sorte que l’assemblée se soit réconciliée avant d’approcher de l’autel. Et enfin il enverra le corps ecclésial en mission en prononçant une des formules d’envoi : « Allez proclamer l’Evangile du Seigneur ».

La Tradition antique des Constitutions déjà citées soulignait en outre le rôle du diacre dans le rassemblement de la communauté. Il doit veiller à ce que chacun ait la place convenable, en mettant le plus pauvre au premier rang. C’est d’ailleurs à mon sens un rôle toujours d’actualité. Le diacre doit veiller à ce que nos assemblées soient vraiment ecclésiales. Tous ont-ils la bonne place ? A-t-il pensé aux personnes qui marchent difficilement pour aller vers elles à la communion ? Aura-t-il souci des nouveaux venus, des gens de passage, de ceux qui ne sont pas bien habitués ? Son ministère est ainsi nécessaire pour toute assemblée. Les mêmes traditions réservaient en outre aux diacres d’aller porter la communion aux malades ou aux prisonniers, car, si les uns et les autres étaient empêchés de rejoindre l’assemblée dominicale, ils n’en étaient pas moins membres. Sans eux, l’Eglise n’est pas complète. Ainsi, l’ordre diaconal ou lévitique prend continuellement soin du corps ecclésial, depuis son accueil jusqu’à son envoi, pour le disposer à participer pleinement au mystère eucharistique.

C’est pourquoi les diacres seront envoyés de manière privilégiée vers les membres les plus éloignés de la communauté ecclésiale visible, pour compléter le corps ecclésial et veiller à ce qu’il ne manque aucun membre de ce corps. Ils sont comme les serviteurs que le maître envoie aux croisées des chemin afin de remplir la salle de son banquet. La charité dont les diacres sont les ministres privilégiés est la charité du Christ qui fait l’Eglise. L’amour du Seigneur qui regarde chacun comme son enfant. Qui rétablit chacun dans sa dignité d’enfant de Dieu, qui appelle chacun à devenir membre précieux de son Corps. En étant au service des malades, des prisonniers, des personnes pauvres, des isolés, des malheureux, des catéchumènes, des jeunes en recherche, ou des personnes handicapées, les diacres n’exercent pas simplement la charité à leur égard, ils viennent les servir et les reconnaître comme les dignes membres du Seigneur, ces membres qu’il faut laver et soigner, habiller et parfumer, appeler et honorer. Car ne faut-il pas prendre le plus grand soin des membres les plus fragiles, et entourer de davantage d’honneur, les membres les plus méprisés ?[2] Tel est la mission des diacres.

En cette Journée Mondiale des Pauvres, il est bon de se rappeler que nous avons souvent une vision de la charité du Christ très incomplète. Celle-ci ne nous conduit pas seulement à une attitude d’aide, mais à reconnaitre, dans l’autre, la dignité indépassable de membre du Christ. La parabole de l’Evangile nous rappelle cela sans aucune concession. « Quand tu as pris soin d’un de ces petits qui sont les miens, c’est à moi que tu l’as fait. » C’est à dire que ce prisonnier visité, ce malade réconforté, cet étranger accueilli, ce lépreux embrassé comme en fit l’expérience saint François d’Assise, n’est pas seulement l’objet de ta charité, il est pour toi présence du Seigneur et, dans l’Eglise, un membre sacré du Seigneur. Alors, tous, nous découvrons en retour notre mutuelle dignité d’enfants de Dieu, nous pouvons nous regarder les uns les autres comme des membres du Christ et entendre la parole : « venez les bénis de mon père » …

Pour faire l’Eglise, au sacrement de l’autel est établi de manière concomitante le sacrement du frère. Au commandement laissé aux apôtres à la dernière Cène : « vous ferez cela en mémoire de moi », s’adjoint le commandement laissé à tous les disciples : « c’est à moi que vous l’avez fait ». A la présence du Seigneur dans les espèces du pain et du vin, s’ajoute la présence du Seigneur dans ses membres fraternels, pour lesquels il a donné sa vie en sacrifice[3]. Car le Corps du Christ est Un, à la fois corps du Seigneur crucifié et ressuscité, Corps sacramentel à l’autel du sacrifice, corps ecclésial de son incarnation en ses membres que nous sommes. Tout cela est un seul mystère célébré, tout cela est un immense et unique mystère, mais tout cela est un mystère si grand qu’il faut une pluralité de ministres pour le servir et le manifester dignement. Le diacre a donc pour mission d’aller vers les plus lointains de la communauté, de franchir les frontières, de surmonter les murs, pour aller vers ceux-là sans lesquels notre assemblée serait infirme et la manifestation du mystère du salut incomplète. Pour paraphraser le cardinal Suenens[4], le 8 octobre 1963, dans un discours destiné à convaincre les Pères du Concile Vatican II de restaurer le diaconat comme un ordre permanent : Si quelqu’un ne comprend pas l’essence sacrée de la charge diaconale, qui est de préparer une communauté à se faire Église, c’est qu’il ne comprend pas ce qu’est l’Eglise.

Amen.

[1] Les Constitutions apostoliques, II, 26, 2-3 et 5 (Editions du Cerf, coll. Sources Chrétiennes C 320, p. 236-239).

[2] 1Co 12,22-23.

[3]  cf. « Tu veux honorer le Corps du Christ ? Ne le méprise pas lorsqu’il est nu. Ne l’honore pas ici, dans l’église, par des tissus de soie tandis que tu le laisses dehors souffrir du froid et du manque de vêtement. Car celui qui a dit : Ceci est mon corps, et qui l’a réalisé en le disant, c’est lui qui a dit : (…) Chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait » Jean Chrysostome, Homélie sur l’Evangile de Matthieu, 50,3-4, Liturgie des Heures, tome 3, p. 471, samedi de la 21ème semaine du temps ordinaire.

[4] « Ce degré semble avoir été institué spécialement pour apporter une aide directe à l’évêque, en particulier : 1. pour s’occuper des pauvres et assurer le bon ordre de la communauté. 2. pour assurer la charge de la préparation, pour ainsi dire communautaire (surtout au moyen de la charité entre frères) et liturgique, dans la fraction du pain (Actes 2, 42,32,35 ; Hébreux 13,16) de l’Eglise locale afin qu’elle se stabilise en une véritable communauté religieuse. S’il se trouve quelqu’un qui ne voie pas l’essence vraiment sacrée et nécessairement liturgique de cette charge – ne s’agit-il pas de préparer une communauté à se faire Eglise ? – c’est qu’il ne comprend pas, semble-t-il, ce qu’est l’Eglise, basée sur des sacrements et aussi sur les charismes conférés par le sacrement de l’Ordre. » Texte disponible sur le site du Comité National du Diaconat, http://www.diaconat.cef.fr.