Homélie de Mgr Delarbre: Messe de la solennité de l’Immaculée Conception

Homélie de Mgr Christian Delarbre, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles

Messe de la Solennité de l’ Immaculée Conception

Vendredi 8 décembre 2023, Cathédrale Saint-Sauveur, Aix

I.

Bien aimés du Seigneur, nous sommes entrés dans le temps de l’Avent, temps de joie anticipée, tendus vers la venue du Seigneur, déjà dans l’allégresse par la certitude de sa naissance dans la chair, éclairés d’avance par la clarté du Sauveur, consolés par la présence de l’Emmanuel, Dieu avec nous. Et nous célébrons, en ces premiers jours de l’Avent, la solennité de l’Immaculée Conception. Comme pour nous dire : « Vous vous réjouissez parce que l’aube du salut éclaire votre horizon mais sachez, peuple chrétien, qu’alors que vous étiez dans les grandes ténèbres, alors que vous étiez sans salut, sans espérance, promis à la mort et aliénés par le péché, secrètement, déjà, le germe du salut était semé, la graine de sénevé était préparée de laquelle allait naître l’arbre du salut, l’arbre de la croix qui embrasserait toute l’humanité dans l’œuvre de la rédemption. »

Cette voix nous dit encore : « Peuple chrétien, alors que tu relèves la tête à l’approche du sauveur, n’oublie jamais que, du fond de ton désespoir, dans les temps terribles où domine le péché et où l’antique serpent semble régner en maître dans nombre de cœurs, et que les royaumes de la terre, les puissances du monde se déchaînent dans la violence, quand la perdition semble avoir tout emporté, le Seigneur a déjà préparé sa victoire.

Alors, Peuple chrétien, qu’as-tu donc à craindre ? Pourquoi être pris de doute ? Ne laisse pas le vieux serpent susurrer ses mensonges, il cherche toujours à briser ton courage (« n’es-tu pas nu et vulnérable ? » découvre Adam), à te détourner de la foi (« je me suis caché » dit-il encore), à détruire ta communion (« j’ai eu peur » dit encore Adam). Non seulement tu entres dans la joie du sauveur qui vient, mais tu sais par la présence de l’Immaculée, qu’au fond même des ténèbres est promise la lumière, qu’aliéné par une chaîne redoutable d’acier, un maillon a déjà été brisé. Espère, crois et aime, quoi qu’il arrive, quoi qu’il en coûte.

Première chose à retenir. Célébrer Marie conçue sans péché est ainsi une Espérance extraordinaire pour chacun d’entre nous et pour toute l’Eglise et pour le monde qui l’ignore. Alors que tous, nous sommes marqués par le mal et la violence, l’Immaculée est la première à échapper, par une grâce de salut méritée par le Christ, à l’implacable loi du péché, qui sépare la créature de son Créateur. Il y a donc une issue. Il y a donc une Espérance ! Et le salut vient en ce monde par une femme.

II.

L’Antique serpent continue pourtant d’étouffer dans ses anneaux la descendance d’Adam. Parmi tous les enseignements de la foi, celui du péché originel est l’un des plus expérimentaux. La prégnance du mal dans tout être humain, dans ses relations, dans ses réalisations personnelles ou collectives est une réalité qui ne cesse de s’imposer à nous. Que nous soyons tous enfermés dans le péché, selon l’expression de Paul, va au-delà de nos fautes personnelles. Il appartient à tout être humain d’être à la fois victime et complice du mal et du péché. Ainsi, l’expérience même du mal devrait nous faire aspirer profondément au salut et reconnaître en Marie celle qui témoigne qu’il est brisé, le règne de l’Adversaire et que, voici qu’il vient, le Sauveur.

Ce n’est pas pour rien que les aumôniers de prison nous rappellent qu’ils ont le taux de pratique le plus élevé qui soit de nos paroisses. Qu’à la prison de Luynes l’on demande le baptême, la communion, la confirmation. Dans une tribune du Monde du 19 novembre dernier, le sociologue Thibault Ducloux analyse, à partir d’une enquête menée auprès de détenus, la présence massive du religieux en prison. « Le religieux intervient quand les détenus sont au plus mal » écrit-il, « quand ils ont fait l’expérience de la chute. » L’interprétation du sociologue n’est pas théologique évidemment, ni même religieuse. Mais l’Immaculée Conception est aussi l’annonce d’un salut qui vient dans la chair, dans la vie des hommes, à travers leurs luttes, au fond de leurs chutes, au secours de leurs absolues détresses, d’où naît la quête d’une rédemption. De celle-ci, Marie est la première à témoigner. Ce témoignage doit nous faire relever la tête. Le moindre des détenus peut apprendre la chute et aspirer à la rédemption. Les yeux fixés sur l’Immaculée, aspirons au salut, nous qui souffrons de la chute. C’est la seconde chose à retenir.

III.

Notez que la promesse d’écraser la tête du serpent est faite à toute la descendance d’Eve. L’Ecriture, avant qu’elle puisse être lue dans la plénitude de son sens après la révélation du Christ, n’en garde pas moins un sens premier qui est, lui aussi, inspiré. Entre le serpent et la femme, il y a donc une hostilité, dit l’Ecriture. Les femmes souffrent les premières de la violence du serpent qui les blesse au talon et de siècles en siècles, souffrent les femmes de multiples violences conjugales, familiales, sociales, politiques. Les mères pleurent leurs fils perdus pour avoir suivi des menteurs promettant la gloire, la défense de la patrie, le martyr d’un de ces faux dieux qui demandent sans cesse plus de sang mais sont incapables d’en verser une seule goutte !

Mais si les mères, les épouses, les amoureuses sont la descendance d’Eve blessée au talon, elles bénéficient aussi de la promesse d’écraser la tête du serpent. Comme si, ayant été trompées une fois on ne les reprenait pas. Notez bien comment Adam se justifie lâchement en accusant « la femme que tu m’as donnée » : elle n’est plus la chair de sa chair ni les os de ses os soudain ! Tandis qu’Ève répond : « le serpent m’a trompée ». Elle confesse et elle est la première à nommer le maître du mensonge. Dans les désastres, les guerres, les folies humaines, les femmes de tous les pays, et j’en ai été témoin en bien des lieux, restent debout quand leurs hommes ont déserté. Les femmes arrêteraient les guerres pour peu qu’on les laisse faire. Dictateur ne se dit pas au féminin. Les seules à s’être levée en Argentine autrefois, ce sont les mères et grand mères, les seules à avoir le courage de demander des comptes à Poutine sur ce que leurs fils, leurs époux sont devenus, ce sont des femmes. Dans tel quartier de Marseille, seules des femmes ont réussi à écarter les dealers de leurs cages d’escalier. Et si l’on veut un jour la paix au Proche Orient, il faudra laisser faire les femmes.

Aussi, en ce jour de fête, il m’importait d’abord de vous rappeler qu’au cœur des pires détresses, l’Immaculée témoigne que le salut est déjà préparé, afin que vous gardiez toujours courage et que jamais vous ne vous laissiez tromper par le serpent et ses serviteurs en notre temps. Ensuite que vous vous souveniez à travers même l’expérience de la chute de votre désir du salut. Enfin, que c’est bien par une femme qu’est venu en ce monde, le salut de ce monde, en accomplissement des Écritures. Ainsi, toutes les femmes, en Ève, se voient rappelée leur mission de démasquer le vieux serpent, menteur depuis l’origine, adversaire du genre humain et, par Marie la Nouvelle Ève, de recevoir la grâce et le courage d’en détourner leurs frères, leurs garçons et leurs maris.

Amen.