Homélie de Mgr Delarbre 18 février 2024 – 1er Dimanche de Carême

1er dimanche de Carême
Dimanche 18 février 2024, Cathédrale Saint-Sauveur – Aix

Du déluge au désert…

Homélie de Mgr Christian Delarbre, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles

Suivons la Parole de Dieu et les mystérieux chemins que nous ouvre l’Esprit Saint pour suivre ses enseignements, et à travers ses enseignements, pour grandir dans la louange et nous fortifier dans nos combats quotidiens. Vous vous souvenez que la colombe revint à l’arche et qu’alors Noé sut que le déluge prenait fin et que la terre allait de nouveau apparaitre. Cette colombe était déjà une préfiguration de l’Esprit Saint, dont la même forme corporelle se manifesterait sur les eaux du baptême du Christ, et l’arche de Noé, une préfiguration du bois de la croix par laquelle nous sommes sauvés. Le déluge lui-même est une figure du règne de la mort et du mal sur l’humanité. Et le signe de l’arc-en-ciel affirme la réalité de l’Alliance, tout comme le Corps du Christ en Ciel, bras ouverts sur la croix, fonde à jamais l’Alliance déjà promise à Noé. Le récit biblique raconte en définitive que le règne du mal a pris fin, que sur les eaux de la mort, plane la colombe de l’Esprit, qui indique la terre des vivants, sur laquelle le Seigneur a établi son Alliance définitive.

Comprenez que le récit biblique inscrit dans un passé lointain une réalité qui nous est en définitive contemporaine, de sorte que la résolution que le récit amène – le salut par le bois, la fin du déluge, la venue de la colombe, le signe de l’Alliance – n’est pas un événement qui serait juste derrière nous, ne concernant que les générations effacées des temps mythiques de Noé, mais un événement bien réel dont nous avons nous-même l’expérience. C’est en effet bien notre monde qui est soumis aux flots montants de la violence et de la mort, et la perdition semble certaine, tous étant destinés à mourir, à se noyer dans le temps et à disparaitre. Le récit de l’Arche, comme je l’évoquais à l’instant est une figure du salut par la croix, et Noé une des annonces du Christ. Notez bien que dès l’apôtre Pierre, c’est ainsi qu’est lu le récit biblique : « Quand Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre (…) furent sauvées à travers l’eau. C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant. » C’est bien notre vie qui est en jeu lorsqu’il nous est proposé de monter dans l’arche de la croix. Ayez conscience du péril dans lequel nous sommes en vous souvenant que, dans le récit de Noé, toute l’humanité est avertie du danger qui vient mais que « seul un petit nombre, huit personnes en tout » ont entendu l’appel au salut et ont choisi d’embarquer pour ne pas être submergées. Retenons donc que le récit du déluge est à la fois une préfiguration prophétique, advenue à l’accomplissement avec le sacrifice de Jésus, et le récit présent de notre propre vie.

Revenons-en à l’Esprit Saint. La colombe qui vole vers Jésus à son baptême accomplit dans l’histoire le signe de la colombe venant à l’arche, et elle nous est transmise comme la colombe de l’Esprit Saint qui vient se poser sur celui qui est baptisé dans l’eau et l’Esprit. Là encore, nous avons la préfiguration prophétique, l’accomplissement en Christ et l’actualisation par l’Esprit que nous avons reçu. Vous avez eu conscience du péril.

Vous avez entendu l’appel à embarquer dans l’arche de la croix, vous êtes ainsi sauvés de la mort, vous avez reçu la colombe de l’Esprit, vous atteignez la promesse du rivage éternel, et la fin du déluge est certaine, le terme du règne de la mort est assuré, l’Alliance est attestée. L’arc-en-ciel règne désormais sur votre existence et l’éclaire.

L’arc-en-ciel du récit me rappelle la vision glorieuse que le prophète Ezéchiel raconte (Ez 1) au début de son livre. Il contemple, tout à fait terrifié, quatre Vivants, quatre créatures fantastiques volant sans cesse autour d’un trône « et, sur ce trône, quelqu’un qui avait l’aspect d’un être humain » et cette précision : « Comme l’arc apparaît dans la nuée un jour de pluie, ainsi cette clarté à l’entour : c’était l’aspect, la forme de la gloire du Seigneur. » L’arc-en-ciel du déluge est réalisé par l’arc-en-ciel du Christ en croix et il dévoile l’arc de la gloire du Seigneur qui entoure le trône éternel et ce quelqu’un divin « qui avait l’aspect d’un être humain ». Noé et le déluge, la vision d’Ezéchiel, toute l’Ecriture annonce Jésus vivant, ressuscité et roi de l’univers et le mystère divin se rend accessible à notre contemplation. Lorsque vous verrez un arc-en-ciel, vous penserez au Ressuscité, au Christ en gloire assis à la droite du Père, à sa victoire définitive, à l’Eternel et à son règne, à l’Alliance d’amour établie avec son peuple et vous rendrez gloire à Dieu, et vous serez dans la joie. Ici, le récit biblique ouvre à notre contemplation, après les trois premières dimensions (préfiguration prophétique, accomplissement, actualisation) une quatrième dimension : le dévoilement du dessein final, la réalité ultime qui nous est révélée, et à laquelle nous participons déjà pour avoir été portés par les trois premières.

Pourquoi donc alors, l’Esprit pousse-t-il Jésus au désert pour y être tenté ? Parce qu’il est le nouveau Noé et qu’il refait pour l’accomplir les étapes de l’antique récit. Pour sauver l’humanité du déluge, c’est-à-dire du règne de Satan, il faut aussi qu’il accepte de construire lui-même l’arche de la croix par laquelle il donnera sa vie, réalisera l’arc-en-ciel de l’Alliance, puis établira son règne sur toute chose, après avoir jeté à bas Satan et ses œuvres. Il faut, comme Noé autrefois, qu’il soit le premier à refuser la fatalité du déluge, qu’il surmonte la tentation de s’y livrer impuissant, comme nous ressentons si souvent la tentation du désespoir, de l’indifférence, et se laisser engloutir par les eaux montantes de la mort. Il faut, pour établir l’arc glorieux de son règne de gloire et de salut sur l’humanité, vaincre le règne de l’Adversaire du genre humain. Et ce combat commence dans ce désert, tant il est vrai que le Christ le mènera seul, seul dans ce désert, pour être seul dans le désert d’humanité au centre duquel il sera crucifié.

Ce combat est toujours mené puis remporté, seul, par le Seigneur. De sorte aussi qu’il n’existe plus aucun désert pour nous même où le Christ ne nous a précédés, ni aucun combat que le Christ n’ait déjà mené et remporté. La préfiguration prophétique du déluge a bien été accomplie par le Christ, le combat remporté, la mort vaincue, l’Adversaire lié à jamais dans l’abîme, l’Alliance scellée dans la gloire.

 

Amen

Année B
Dimanche 18 février 2024