Homélie de Mgr Delarbre – Messe Chrismale, 25 mars 2024

Messe Chrismale
Lundi 25 Mars 2024, Cathédrale Saint-Sauveur – Aix

« Il a fait de nous un royaume et des prêtres »

 

« Il a fait de nous un royaume et des prêtres », entendons-nous dans l’Apocalypse. Et Isaïe annonce au peuple qui reçoit l’onction : « Vous serez appelés prêtres du Seigneur », on nous dira « servants de notre Dieu ». L’huile sainte, le saint chrême sera béni par ces mots : « Que chaque baptisé imprégné de l’onction sanctifiante (…) désormais temple de l’Esprit répande la bonne odeur d’une vie pure. Selon le dessein de ta volonté divine en recevant la dignité de rois, de prêtres, de prophètes, qu’ils soient tous revêtus de la grâce incorruptible ». La constitution sur l’Église Lumen Gentium commente ce même passage de l’Apocalypse en son n.10 : « Le Christ Seigneur, grand prêtre pris d’entre les hommes a fait du peuple nouveau un royaume et des prêtres » Entendez, chers disciples de Jésus en quels termes l’Écriture parle de vous et de l’onction que vous avez reçue lors de votre baptême et de votre confirmation ! « Prêtre du Seigneur, onction sanctifiante, vie pure, dignité de rois prêtres et prophètes, grâce incorruptible… »

La première épître de saint Pierre (2, 5) exhorte par ces mots : « Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ ». Ce que reprend encore Lumen gentium 10 : « Les baptisés par la régénération et l’onction du Saint-Esprit sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, pour offrir, par toutes les activités du chrétien, autant de sacrifices spirituels. » Notez encore que l’offertoire de la nouvelle traduction liturgique fait dire à celui qui préside : « Frères et sœurs priez pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre soit agréable à Dieu le Père Tout-Puissant » ; ou la prière eucharistique du Canon romain qui s’ouvre encore avec ces mots : « Souviens-toi Seigneur de tes serviteurs et de tes servantes (…) Nous t’offrons pour eux ou ils t’offrent pour eux-mêmes et tous les leurs ce sacrifice de louange ». Entendez comment l’on parle de vous ! « Peuple nouveau, un royaume et des prêtres, consacrés pour être demeure spirituelle, sacerdoce saint, et offrant des sacrifices spirituels » !

Vous recevez une consécration pour un sacrifice. Comme le prédicateur le rappelait aux prêtres durant leur retraite de carême, ce sont deux réalités liées, con-secrare, « rendre sacré », sacrum facere « faire sacré ». C’est un don et une vocation que nous recevons par notre baptême dans l’eau, le sang et l’Esprit. L’onction sainte par le saint Chrême, l’huile sainte du baptême et de la confirmation, inscrit en nous cette consécration dans l’Esprit, la vocation de « faire sacrée » notre vie. Accomplir dans notre vie ce que nous avons reçu au baptême. Les paroles du Christ à Nazareth : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. », tu peux les reprendre en Christ et à la suite du Christ car tu as reçu toi aussi l’onction de l’Esprit de Jésus. Cette onction brille désormais sur ton front comme une flamme, de sorte que toute ta vie en est illuminée, que le feu de la charité t’embrase et que ta vie soit consumée dans l’amour comme autrefois les sacrifices offerts au Temple de Jérusalem étaient consumés dans le feu. Pense à cette noblesse, à cette grandeur, à cette dignité à laquelle tu es associé. Ton être profond a été retiré du profane pour être tout entier consacré. Ton corps est un Temple de l’Esprit. Il est l’autel du sacrifice.

Chaque année, la messe chrismale est l’occasion pour le peuple saint de participer une fois encore aux rites et d’entendre de nouveau les paroles qui lui rappellent sa dignité sacerdotale, par laquelle il offre le sacrifice spirituel d’une vie sainte, et intercède auprès du Père pour le monde. Retenez cela. Vous portez devant le Père l’intercession de Jésus lui-même, pour laquelle il a ouvert les bras sur la croix, embrassant tous les temps et tous les lieux. Le peuple chrétien n’a que trop peu conscience de sa dignité, de sa mission et de la force que le Seigneur lui a donnée en partage. Vous n’êtes pas comme les enfants de ce monde et de ce temps, ils n’ont pas le Christ, ils sont étrangers aux alliances et à la promesse, ils n’ont pas d’espérance, et, dans le monde, ils sont sans Dieu (Ep. 2, 12). Quant à vous, vous avez reçu l’Esprit de Jésus, vous êtes consacrés, vous participez à son oblation, à son sacrifice et à son intercession. Et je suis certain que pour chacun d’entre vous cette intercession, ce sacrifice, cette oblation peuvent s’attacher à des visages particuliers. Vous espérez pour ceux qui n’ont pas d’espérance. Vous croyez pour ceux qui ne croient pas. Vous œuvrez pour manifester les œuvres du Christ. Vous pardonnez là où il n’y a pas de pardon. Vous offrez pour ceux qui n’ont pas d’offrande. Vous intercédez pour ceux qui n’ont pas de voix pour crier vers Dieu. Et quand vous mourrez, vous mourrez dans la foi pour ceux qui meurent sans la foi. Vous êtes un peuple saint. Voilà ce que vous avez reçu avec l’onction sainte. Voilà ce que les baptisés de Pâques et les confirmands de Pentecôte vont recevoir avec l’onction sainte.

J’ai en ce jour le grand désir que le peuple chrétien ait pleinement conscience de cette dignité, de cette responsabilité, de cette beauté, de cette charge, de cette « grâce incorruptible ». Et qu’ainsi il ne se laisse pas troubler par toutes les agitations de l’époque. Je sais que dans les choses de la foi nous sommes influencés par la culture du temps, les manières de penser communes, que nous épousons les illusions, les craintes, les fausses raisons du moment, que nous agissons et réagissons, pensons et parlons comme les païens qui n’ont pas d’espérance. Par exemple, chacun court le risque d’être très préoccupé de lui-même y compris dans les choses sacrées. Ou encore de s’effrayer souvent que ses forces soient si faibles et les puissances de ce monde si fortes. Ou d’imiter l’esprit de parti, d’épouser l’esprit de faction, au détriment du mystère de l’unité ecclésiale qui dépasse le moment que nous vivons. Ou de s’attacher à quelques réalités partielles qu’il possède et croit défendre en ignorant la totalité du mystère de la foi. Ou d’être troublé parce que le monde s’agite en tous sens dans sa folie et son désarroi. Or, vous êtes en ce monde la graine de sénevé et le grain de blé semé en terre, le levain dans la pâte et le filet jeté dans la mer, la perle fine et le trésor dans le champ, la lumière dans la maison et le sel de la terre, car vous êtes un peuple saint. Vivez comme un peuple saint. Aimez comme un peuple saint. Offrez comme un peuple saint. Parlez et agissez comme un peuple saint. Vous êtes consacrés au Seigneur. Vivez pleinement ce que vous avez reçu afin de « porter témoignage du Christ sur toute la surface de la terre, et rendre raison, sur toute requête, de l’espérance qui est en [vous] d’une vie éternelle (cf. 1 P 3, 15). » (Lumen gentium 10).

Amen

Homélie de Mgr Christian Delarbre, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles