Homélie de Mgr Delarbre – Messe d’admission de Charbel Altamirano – 9 avril 2024

Homélie au séminaire à l’occasion de l’admission de Charbel Altamirano parmi les candidat au ministère presbytéral.

Mardi 9 avril 2024, église du séminaire – Aix

« Humble transparence et service de l’Unité »

Dans le petit passage des Actes des Apôtres que nous venons d’entendre, saint Luc a le souci de transmettre à ses lecteurs comme un projet idéal de la communauté chrétienne. Le Livre des Actes est parfois appelé le Livre de l’Esprit Saint, mais aussi le Livre de l’Eglise, puisque l’on nous raconte l’œuvre de l’Esprit, qui fait naître l’Eglise des disciples du Christ en divers lieux. Quelques fois dans l’ouvrage, reviennent ces petits résumés, ou sommaires, de la vie ecclésiale. Le genre est évidemment du registre de l’exemplarité, afin d’inspirer les auditeurs. Alors, étudions cet exemple pour en tirer profit.

« La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ». Saint Paul aura une image forte à ce propos, disant de l’Eglise qu’elle est le Corps du Christ, que chacun est un membre de ce Corps, et la tradition ajoutera que l’Esprit Saint est l’âme unique de ce corps. La communauté chrétienne est le lieu de l’expérience de cette communion dans le même Esprit, qui nous unit – non pas parce que nous nous entendons, nous nous apprécions, même si cela aide !! –  mais parce que la multitude a un seul cœur et une seule âme. Mais pas le même âge, ou les mêmes origines, ou les mêmes coutumes, ou les mêmes opinions. L’unité provient de l’Esprit Saint et non de simples raisons sociales. La communion ecclésiale est belle dans nos paroisses parce qu’elle unit des diversités, parce que justement, grâce aux diversités des personnes, l’action de l’Unique Esprit est plus clairement manifeste. De cette unité reçue dans l’Esprit, nous ne sommes pas les acteurs ou les promoteurs, comme si nous en étions la source, nous en sommes les serviteurs et les témoins, les bénéficiaires aussi. Il faut donc en prendre grand soin.

De l’évêque en premier lieu, puis du prêtre, on dira qu’ils sont les « ministres de la communion ». C’est une tâche difficile, surtout si l’on considère que nous sommes souvent les premiers obstacles à cette communion que nous devons servir. Pas moins que chacun, nous introduisons en effet dans la communauté dont nous avons la charge, les éléments de division qui sont en notre propre cœur comme le confessait le prophète Jérémie : « le cœur de l’homme est compliqué et malade ! » (Jr 17, 9). Nous sommes les serviteurs paradoxaux de l’action de l’Esprit, qui unifie les cœurs pour nous faire « renaître d’en haut », en luttant contre notre propre cœur divisé et diviseur. Bref, il me faut sans cesse examiner comment mes actions servent et favorisent l’œuvre de l’Esprit d’unir les cœurs, ou bien si elles les divisent. Il faut spécialement se méfier ici de nos grands principes, de nos grandes postures, de nos grands arguments, de nos grandeurs. Ces illusions provoquent la division et manifestent ainsi qu’elles viennent moins de l’Esprit Saint que de l’inquiétude de notre propre cœur. Cela me fait ici penser au « crime des majuscules » (expression de Lanza Del Vasto). Vous savez : « Liberté, que de crimes commis en ton nom ! »[1] Remplacez à volonté par : Vérité, Tradition, Progrès, Société, Nation, Histoire, République. Et même Unité ! Nous devons spécialement nous garder de toute violence, y compris verbale ou relationnelle, commise au nom de nos Grands Principes, cela ne saurait venir de l’Esprit.

« C’est avec une grande puissance que les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, et une grâce abondante reposait sur eux tous. » Au sein de la communauté, il y a le témoignage des apôtres rendu avec puissance parce qu’il ne vient pas non plus d’un savoir humain mais de l’Esprit de Dieu. La communauté ne se rassemble pas d’elle-même. Elle n’est pas sa propre source. Celle-ci est le Christ ressuscité, source d’abondance de grâce pour chacun, dont le témoignage sensible est rendu par les Apôtres. Depuis lors, demeure toujours au sein de la communauté ecclésiale un successeur et collaborateur des apôtres, ayant reçu le même Esprit Saint, afin de porter le même témoignage et de manifester le même Christ ressuscité source de toutes les grâces sacramentelles et spirituelles qui baigne la communauté. Le prêtre dans la paroisse n’est pas le gestionnaire d’une société, ni le président d’un club de sport, ni le tenancier d’une boutique de remise en forme, il est disposé pour rendre présent l’action sacramentelle du Christ, manifester visiblement et sensiblement la présence du ressuscité, ses actes et ses paroles, la Présence qui nous réunit. C’est à cela que vous êtes appelé, à cette humble transparence qui permet à ceux qui vous regardent agir et vous entendent parler, de ne pas s’arrêter à vous, mais découvrir à travers vous Celui que vous servez.

Enfin, vous pouvez être surpris de l’insistance de l’auteur sur le partage des biens. Avec ces expressions: « Personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun. » ou encore « Ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des Apôtres ; puis on le distribuait en fonction des besoins de chacun. », ou encore l’exemple de Barnabé vendant son champ. Cela fait une insistance singulière ! Cette pratique reste vivante dans l’Eglise aujourd’hui sous diverses formes. Comme la règle des communautés religieuses de tout mettre en commun. Ou encore, nos quêtes paroissiales et le denier de l’Eglise qui rappellent que la communauté vit du partage de ses ressources. Il faut aussi souligner l’importance qu’a eu de tout temps la générosité des chrétiens dans les œuvres de miséricorde. Aujourd’hui cela se traduit souvent par le soutien à des associations caritatives. Et cela doit être clairement présent dans une communauté paroissiale. On ne peut juste le renvoyer à la décision individuelle mais être le témoignage de la communauté elle-même. A cause de cette dimension ecclésiale. Enfin, cet exemple invite chaque communauté chrétienne à s’interroger sur la charité fraternelle et la solidarité concrète en son sein. Il y a là un vrai enjeu du véritable témoignage d’une communauté. Mais aujourd’hui nous pouvons aussi retenir que c’est un aspect très concret du ministère presbytéral : mettre au profit de la communauté son temps, ses talents et aptitudes, ne pas être propriétaire de son logement, dépendre de la mise en commun de l’Eglise, accepter un traitement modeste et en être comptable devant Dieu et les hommes ! Amen

Amen

Homélie de Mgr Christian Delarbre, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles
9 avril 2024, Année B

[1] Mots attribués à la révolutionnaire Manon Roland, sur le chemin de l’échafaud durant la Terreur le 8 novembre 1793.