Mgr Dufour : « le jeûne nous tourne vers les autres »

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Les Chrétiens sont entrés le 14 avril  2019 dans la dernière semaine du carême. Pendant 40 jours, ils se sont préparés à la fête de Pâques qui célèbre la résurrection de Jésus-Christ, le fait qu’il sauve l’humanité de la mort et du péché. Les Chrétiens se sont préparés par trois efforts: partage, prière, jeûne ou pénitence. De quelle manière ces points concrets d’effort aident-ils chaque croyant à se rapprocher de Dieu ? Réponse dans La voix des Églises, avec Mgr Christophe Dufour, archevêque d’Aix et Arles.

 

« Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Voici ce que dit Jésus-Christ au diable qui le tente au désert. C’est rapporté dans l’évangile de saint Matthieu. Jésus Christ, qui a lui-même vécu 40 jours d’isolement, de prière et de jeûne au désert, sert de modèle aux Chrétiens pour se préparer à la fête de Pâques. Commençons par le jeûne ou la pénitence. Il est proposé aux Chrétiens de jeûner deux fois dans l’année : le jour de l’entrée en Carême, le jour des Cendres, et le vendredi Saint. Les croyants peuvent faire plus s’ils le souhaitent. En quoi éprouver la faim rapproche-t-il de Dieu ?

Creuser la faim du corps fait prendre conscience de notre dépendance, de notre pauvreté, et de notre misère. Nous sommes des êtres fragiles. De plus nous pouvons prendre conscience que tout nous est donné et que certains ont faim dans leurs corps et dans leur chair.

Pourquoi l’abstinence de viande est-elle recommandée tout particulièrement ?

Le Christ nous a libérés de tous les interdits et prescriptions alimentaires. L’abstinence de viande le vendredi n’est pas une prescription alimentaire. Le Christ disait que tout est bon dans la création, mais tout n’est pas forcément bon pour nous et tout le temps. À nous d’apprendre à discerner sur ce qui est bon et sur ce qui n’est pas bon dans l’alimentation. Le Christ nous a donné cette liberté, car il nous fait confiance.

C’est une abstinence de viande, et non de poisson ou d’œuf, et plus particulièrement la viande qui servait aux sacrifices. Je pense qu’on peut manger du canard le vendredi saint parce qu’on n’offrait jamais de canard en sacrifice dans l’ancien testament. Par contre, c’est la chair du Christ qui va être exposée sur la croix et donc par respect pour cette chair nous nous abstenons de la chair. Pour tourner notre cœur vers cette chair du Christ crucifié pour nos péchés, pour sauver. Alors nous nous souvenons que chaque vendredi de Carême, nous devons faire abstinence de viande, pour tourner notre cœur et notre prière vers le Christ crucifié.

Pour que le jeûne ne soit pas seulement une sorte de régime, quelle attitude faut-il adopter ?

Le jeûne est lié à la prière et à l’aumône. On ne peut pas désarticuler ces trois commandements du Carême qui sont dans l’évangile. Le sens du jeûne est aussi le partage, c’est-à-dire une œuvre de miséricorde. Donc il n’y a pas de jeûne sans miséricorde.

Est-ce qu’on prie mieux quand on a faim ?

On ne prie pas forcément mieux lorsque l’on a faim. Je vous avoue que le matin, pour mieux prier, je prends un bon petit-déjeuner. Nous pouvons dire que la prière vient nourrir le corps, l’être, et vient creuser en nous un désir. C’est une forme de prière qui va s’allier au jeûne pour la rendre plus forte, plus fervente, pour la rendre comme un cri vers le Seigneur : « j’ai besoin de toi… je t’aime… tu es ma force… Tu es ma nourriture… tu es mon pain ». Pas de jeûne chrétien sans prière.

Il existe plusieurs manières de prier. En recommandez-vous une plus particulièrement ?

La prière du Carême a pour but de nous unir vraiment au Christ Jésus. Par exemple par la lectio Divina avec la parole de Dieu, on se nourrit du Christ. Le Christ s’est lui-même nourri de cette parole dans son humanité. Le chapelet, la prière du cœur, répéter le nom de Jésus, pour nous tourner vers le Christ sauveur, sont différentes manières de prier.

Pendant le Carême je termine toujours mes lettres par « bien uni à vous dans le Christ Sauveur » ou « bien uni à vous dans la marche de l’Église vers le matin de Pâques ».

Vous avez évoqué la lectio divina, lecture méditée et priante de la parole de Dieu. En quoi ce type de lecture nous apprend à mieux connaitre Jésus ?

Tout d’abord nous allons pencher nos yeux, nos cœurs et notre intelligence sur les écritures et particulièrement dans l’évangile. C’est-à-dire manger la parole de Jésus. Ce n’est pas un texte, c’est une Parole. C’est comme un message d’un amoureux ou d’une amoureuse. Quand vous la recevez, vous n’en faites pas une explication de texte. Vous la recevez comme une parole qui va toucher votre cœur et va vous faire rencontrer la personne qui vous écrit. La lecture priée de l’Écriture, de la Bible, nous met en communion ou en relation avec celui qui parle et nous avons à lui répondre grâce à la prière. Nous commençons par la lire, l’écouter, la méditer, dans le cœur, dans l’âme, dans l’intelligence et ensuite la parole jaillit comme une réponse. Elle peut devenir prière, supplication, louange, merci… C’est la prière chrétienne et traditionnelle de l’Église.

Dernièrement, en lisant la Parole de Dieu, avez-vous appris quelque chose de Jésus-Christ qui vous a surpris ?

Tous les jours je suis surpris. Ces temps-ci on méditait sur une parole : « à cause de ton nom […] ne nous laisse pas dans cette situation-là. Tu les vois bien Seigneur, nous sommes dans l’épreuve, qu’on se moque de nous, que l’on rit de nous, que ta parole est rejetée et qu’on se moque de toi à travers nous alors à cause de ton nom… nous t’implorons et demandons miséricorde. Nous te demandons pardon de tous nos pêchés, et de tous ce que l’on fait de mal. Le nom de Jésus résonne de façon nouvelle ce matin, c’était ma méditation et ma prière.

Vous avez évoqué l’œuvre de miséricorde qui résulte du jeûne et de la prière. De quelle manière cela nous ouvre aux autres et ainsi à la miséricorde ?

Une des significations du jeûne, c’est bien de nous tourner vers les autres, de nous faire éprouver la faim du corps, la souffrance de ceux qui ont faim. Ce n’est pas exercice personnel « je vais y arriver », sinon c’est de l’orgueil. Le jeûne doit nous humilier, nous rendre humbles, pour nous mettre dans la hauteur en profonde communion avec tous ceux qui souffrent et qui ont faim. D’un côté Dieu vient nous remplir de sa miséricorde, de sa tendresse et de son amour, et de l’autre côté le jeûne va ouvrir notre cœur à tous ceux qui sont dans la peine.