Méditations du Lundi de Pâques 2024

Méditations du Lundi de Pâques 2024
Message de Mgr Christian Delarbre aux fidèles du diocèse d’Aix et Arles

Le lendemain de Pâques, je me suis levé avec une étrange impression. Un étrange décalage. Nous étions tous très heureux et très émus par les magnifiques liturgies de la Semaine Sainte, qui nous font communier plus que jamais avec le mystère du Christ, sa passion et sa résurrection. Et j’étais sans doute comme vous, empli d’action de grâce pour le Seigneur ressuscité, lui qui s’est livré pour nos péchés et qui a vaincu la mort, lui qui s’est manifesté à chacun des nombreux catéchumènes qui ont reçu le baptême durant la Nuit Sainte. « Mort où est ta victoire ? Où es ton aiguillon ? (1Co 15,55).

Mais, figurez-vous, le monde n’en savait rien ! Il égrenait comme chaque jour le triste cortège des morts et des massacres : des dizaines de cadavres dans un hôpital, fière victoire d’une fière armée ; les recherches se poursuivent pour retrouver une victime des inondations ; les ossements retrouvés d’un petit enfant ; nouveaux bombardements dans la ville de Kharkiv ; les Jeux Olympiques se préparent ; élections en Turquie…

Ces événements et ces tragédies nous en avons connaissance par cette société de l’information qui fait de chacun de nous les témoins du terrible spectacle, tout en nous laissant devant notre générale impuissance. « Notre impuissance à les aider » comme dans la belle chanson de Jacques Brel[i].

 

Ce matin-là à Jérusalem, le monde non plus n’en savait rien. Juste quelques hommes et femmes bouleversés, les amis et disciples de Jésus. « Ils l’ont reconnu à la fraction du pain » (Lc 24,35) Mais le Seigneur ne s’était pas manifesté au peuple, seulement aux témoins qu’il avait choisis. Déjà, il fuyait les médias. Les yeux étaient, de toute manière, empêchés de le voir tant que le cœur n’avait pas fait un chemin, le retournement de Marie-Madeleine, le demi-tour des disciples d’Emmaüs, l’entrée du disciple au tombeau vide : « il vit et il crut ». Jésus est mort publiquement, aux yeux de tous et nul ne peut contester l’efficacité professionnelle des soldats de Rome en la matière. Mais il est né à la vraie vie aussi secrètement qu’il est né dans une mangeoire.

 

Bref, Jérusalem n’en savait rien et le monde a continué de tourner, si l’on peut dire. L’empereur despote à Rome, les pauvres miséreux, les riches opulents, les violents violents, les faibles écrasés. La routine quoi.   « J’ai vu tout ce qui se fait et se refait sous le soleil. Eh bien ! Tout cela n’est que vanité et poursuite du vent. » (Qo,2,14) Simplement les gens ne connaissaient alors des drames de l’existence que ceux qui les touchaient directement. Et ça leur suffisait bien. Ils ne se sentaient pas juges ou responsables pour le monde entier. Et s’ils voyaient un ami pleurer, la tâche de le consoler leur suffisait bien.

 

De la résurrection, finalement, il n’y a que nous pour en témoigner la présence. Car le Seigneur est dans ce monde par sa présence cachée et il y est aussi par ceux qu’Il envoie[ii]. Et cela suffit bien. Pourquoi en attendre davantage du monde et des forces qui crucifièrent Jésus ? Et il en sera ainsi jusqu’à ce qu’Il vienne. Non que l’on se désintéresse du monde et de sa marche chaotique. Simplement nous devons jouer désormais selon d’autres règles. Celles de l’Evangile. « Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. » (Col3,2)[iii]. Les priorités sont celles de Celui qui a dit « Ma Royauté n’est pas de ce monde » (Jn 18,39). Les hommes accepteront-ils que l’on continue de témoigner de ce qui est le contraire des tentatives de ce monde ? Craignons que, s’ils nous laissent en paix, il y ait grand risque que nous ne soyons pas au milieu de l’œuvre commune des sociétés, les témoins fidèles de l’œuvre de Dieu ![iv] « Dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. » (Jn 16,33)

Lundi dans l’Octave de Pâques, 1er avril 2024

Mgr Christian Delarbre
Archevêque d’Aix et Arles

 

____  NOTES

[i] Bien sûr, il y a les guerres d´Irlande
Et les peuplades sans musique
Bien sûr, tout ce manque de tendre
Et il n´y a plus d´Amérique

(…)

Bien sûr, ces villes épuisées
Par ces enfants de cinquante ans
Notre impuissance à les aider
Et nos amours qui ont mal aux dents

Bien sûr, le temps qui va trop vite
Ces métro remplis de noyés
La vérité qui nous évite
Mais, mais voir un ami pleurer !

(…)

[ii] D’après Jacques Ellul, Sans Feu ni Lieu, Paris, Table Ronde, 2003, ©1975, p.323

[iii] Je vous invite à relire ce chapitre trois de l’épître de Paul aux Colombiens, sur l’existence que doivent mener désormais ceux dont la vie de ressuscité « reste cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3,3).

[iv] Jacques Ellul, op. cit. p.323.