Vœux religieux : la sobriété heureuse en 2018

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Dimanche 13 mai à Mollégès, une religieuse de la congrégation des filles du saint-Cœur de Marie a prononcé ses vœux perpétuels. Sœur Marie-Louise  a fait vœu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, au cours d’une célébration présidée par l’archevêque du diocèse d’Aix et Arles. Quels signes cet événement envoie-t-il dans la société en 2018 ? C’est la question posée cette semaine dans parole d’évêque.

Pauvreté, chasteté, obéissance… trois vœux prononcés par les religieux et religieuses du monde entier depuis le moyen âge, au moins. Ces trois concepts ne sont plus vraiment à la mode dans notre société française en 2018. On cherche plutôt à gagner beaucoup d’argent, la chasteté est plutôt décriée, et l’obéissance est vue comme de la soumission.

Monseigneur Dufour, vous avez présidé la profession des vœux perpétuels de Sœur Marie-Louise.Quand on parle de pauvreté pour les religieux et religieuses, s’agit-il uniquement de pauvreté matérielle ?

C’est quand même un peu la pauvreté matérielle. C’est surtout un grand abandon. J’aime bien dire que les religieux ou les religieuses qui s’engagent dans la vie religieuse  pour toute leur vie, sont comme l’enfant. L’enfant est pauvre, il dépend des adultes, de ses grands frères et sœurs pour tout. Quand il a faim, il crie, il ne peut pas aller se servir lui-même. Il ne peut pas gagner son argent. Le religieux est dans cette disponibilité-là. S’il reçoit, c’est pour offrir. Il y a une belle prière qui dit « tout ce que j’ai-je te le rends ». Je te le rends dans mes frères. Un évêque qui avait été joueur et entraineur de rugby disait « ce que je reçois, je dois le donner tout de suite. Si je reçois le ballon, et bien je ne dois pas le garder pour moi, je dois le donner ». C’est cela la pauvreté : ce que j’ai, je l’ai reçu. Et je ne l’ai pas reçu pour moi, mais pour offrir, pour le donner.

Vous comparez la pauvreté du religieux à celle de l’enfant. Mais l’enfant est sûr que ses parents vont le nourrir. N’est-ce pas pareil pour le religieux…Ce vœu de pauvreté semble facile dans le sens où la communauté pourvoira à tous les besoins de la personne. Elle ne mourra pas de faim. Est-ce une fausse pauvreté ?

C’est une question d’état d’esprit. D’abord ils doivent être extrêmement vigilants sur leur mode de vie. C’est vrai qu’il y a des dérives. Je crois qu’une communauté religieuse doit vivre pauvrement, avec beaucoup de simplicité, ils doivent faire attention à tous les ustensiles qu’ils ont, à la manière dont ils mangent. Ils doivent être exemplaires sur un mode de vie simple. Et je pense qu’ils devraient en tête de la sobriété heureuse.

Est-il si dur que cela de renoncer à toute possession, à la propriété ?

Ce n’est pas à moi de le dire… En tant qu’évêque, j’ai quelques petites choses à moi. Je pense que cela ne doit pas être facile de n’avoir rien à soi. Imaginez que tout ce qui est dans votre maison ne vous appartient pas mais que vous l’avez en commun avec d’autres. Ce ne doit pas être si facile.

Opter pour la pauvreté en 2018, quel peut-être le message à nos contemporains ?

D’abord la vive conscience que tout ce que nous avons, nous l’avons reçu. C’est d’ailleurs le mouvement de la foi chrétienne. Nous dépendons d’un créateur, de la nature. La terre n’est pas un grand self-service. Tout est cadeau.

Dans notre société, on gaspille beaucoup. Dans cette société qui est riche, c’est le signe de la sobriété heureuse.

Troisièmement, c’est ce que j’ai dit à Sœur Marie-Louise : « dans notre société où il y a des pauvres, ils sont souvent plus pauvres que vous, ils n’ont pas à manger dans la journée, ils doivent mendier… et bien votre pauvreté, vous aurez à la vivre pour eux et avec eux ».

Passons au deuxième vœu, la chasteté. On comprend ce mot comme abstinence sexuelle. S’agit-il de la bonne définition ?

La chasteté n’est pas que pour les religieux. La chasteté doit aussi être vécue dans le couple. Cela signifie « ne pas posséder l’autre ».

En ce qui concerne la vie d’un religieux ou d’une religieuse, c’est ne pas chercher à posséder l’autre. On a une sorte d’instinct qui voudrait mettre l’autre à notre service, à notre botte. Le religieux s’engage dans le célibat. La chasteté, c’est de respecter profondément la personne, notamment dans son corps. Cela suppose d’avoir un regard pur, qui respecte, qui ne veut pas prendre, qui ne veut pas jouir. C’est cela la chasteté.

Et dans le célibat, la chasteté consiste à avoir son cœur pour tous, pas seulement à une personne, mais l’offrir à ceux que l’on apprécie mois, à ceux qui nous ont fait du mal. Être disponible à tous et à toutes.

C’est aussi le témoignage du regard de dieu sur les personnes car Dieu ne fait pas de différence entre les personnes.

Le troisième vœu est l’obéissance. Quand un moine, une moniale, prononce ce vœu d’obéissance, à quoi s’engage-t-il exactement ?

C’est une question pour la personne qui doit obéir et pour la personne qui est obéie. Encore une fois, j’aime bien l’image de l’enfant. L’enfant ne sait pas ce qui est bon pour lui, il va en faire l’expérience, il va apprendre à faire ce qui est bon, à goûter ce qui est bon, et à rejeter ce qui est mal. Donc il va être dans l’obéissance à ceux qui savent ce qui est bon pour lui ou ne l’est pas. Donc il va apprendre à orienter sa volonté, son désir.

Pour les religieux, les religieuses, ils ont appris ce qui est bon. Mais en dernier recours, même ce qu’ils croient être bon pour eux, et bien ils s’en remettent à une autorité.

N’est-ce pas infantilisant ?

C’est le sommet de la liberté ! Je suis libre de dépendre de quelqu’un. Je choisis, pour telle ou telle décision, de m’en remettre à mon supérieur. Dans un dialogue avec lui, je peux lui dire que selon moi que telle solution n’est pas la meilleure pour moi, mais en dernier recours, si mon supérieur me le demande, je considère que sa décision est bonne pour moi.

Christophe Dufour, vous êtes évêque du diocèse d’Aix et Arles, c’est-à-dire que vous êtes le chef des catholiques sur ce territoire. En tant que chef, vous pouvez décider et les prêtres, les religieux doivent vous obéir. Le vœu d’obéissance donne-t-il une toute-puissance à celui en qui on remet son obéissance ?

Je vais prendre le modèle du Christ. Jésus Christ a dit à ses apôtres : « je suis le chef. Je suis le maitre et vous avez raison de m’appeler maitre ». Mais il s’est mis à leurs pieds, à leur service. C’est cela la figure du chef dans l’Église, c’est l’image du serviteur. « Je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir ». Le Christ nous a lui-même donné l’exemple car il s’est tourné vers son père pour connaitre ce qui est bon et ce qu’il devait faire. « Je ne fais rien par moi-même mais je fais les œuvres de mon père ».

Pourquoi la profession des vœux perpétuels est-elle une chance pour la société en 2018 ?

Elle est une chance pour l’Église, c’est un magnifique témoignage à l’intérieur de l’Église. Nous reconnaissons ce don qui est fait à notre communauté chrétienne. Sœur Marie-Louise est une des Filles du Saint-Cœur de Marie, dont la maison généralice est à Dakar. C’est une joie pour tout l’Église. J’ai appris que cette congrégation avait des vocations : elles sont 8 à rentrer cette année, dont une française, une « gauloise ». Vous imaginez ! Le mouvement s’inverse. C’est une française qui rentre dans une congrégation africaine et qui va aller faire son noviciat à Dakar.

L’Église est au service de l’humanité, donc c’est une joie pour l’humanité.