Pour la vertu en politique, au service de la paix

« La bonne politique est au service de la paix »… tel est le titre du message du pape François à l’occasion de la 52ème journée mondiale de la paix, le 1er janvier dernier. Le 7 janvier, lors des vœux au corps diplomatique, le souverain pontife a exhorté les diplomates à encourager la paix. Comment les évêques du monde entier s’approprient-ils le message du chef spirituel des catholiques ? Réponse avec Mgr Dufour, archevêque d’Aix et Arles dans La voix des Églises sur RCF.

La paix, le défi de la bonne politique, la charité, la confiance. Le pape François décline 7 points pour définir « la bonne politique », orientée vers la paix. Ce message a beaucoup inspiré notre invité du jour, Mgr Christophe Dufour, archevêque d’Aix et Arles. Cette année, pour vos vœux, vous avez tout simplement repris trois points du message du pape François. Pourquoi le reprendre ? Est-il tellement important ?

D’abord, tous les ans le 1er janvier, le pape François, et avant lui le pape Benoît XVI, prononce des vœux tout à fait intéressants. Comme c’est la journée mondiale de la paix, c’est une pensée profonde et prophétique sur la paix. Cette année, il s’est lancé et a parlé de la « bonne politique ».

C’est donc cette dimension politique qui vous a interpelé plus particulièrement ?

C’est cette audace du pape François d’oser parler de politique et de « LA bonne politique ». Il nous donne un éclairage international, universel, pour tous ceux qui prétendent avoir des responsabilités politiques ou une action politique dans le monde.

Votre message de vœux, comme celui du pape François, reprend la consigne donnée par Jésus-Christ à ses apôtres « Dans toute maison où vous entrerez, dîtes d’abord ‘la paix à cette maison’ ». Vous qui êtes évêque, vous commencez toujours la célébration d’une messe en disant « la paix soit avec vous ». Un prêtre qui n’est pas évêque commence la messe en disant « le Seigneur soi avec vous. Cette dimension de la paix constitue-t-elle le fondement de votre identité d’évêque, de votre mission d’évêque catholique, Mgr Dufour ?

Je pense que l’évêque peut demander aux prêtres d’être aussi des messagers de paix. Là, on fait référence à ce jour où Jésus-Christ envoie ses apôtres en mission. Le premier mot qu’il met sur leurs lèvres : « là où vous entrerez, dites ‘paix en cette maison’ ». Je suis un successeur des apôtres, donc forcément dans la liturgie, nous l’avons repris ! Mais n’oubliez que le prêtre dit à la fin de la messe « Allez dans la paix du Christ », et au cours de la messe « dans la charité du Christ, donnez-vous la paix ». Donc la paix est l’œuvre de Dieu. Pour un chrétien, la paix nous est donnée. Donc nous avons évidemment à la mettre en œuvre.

Du message du pape François, vous retenez ce premier point : la bonne politique recherche la paix, elle est guidée par les vertus et pas par les vices. Au niveau local, sur le territoire diocésain d’Aix et Arles, y a-t-il un défi plus grand qu’ailleurs d’orienter la politique selon les vertus ?

Je ne vais pas fustiger qui que ce soit dans notre région. En effet, le pape s’adresse en tout premier lieu aux personnes ayant des responsabilités politiques. Mais il ne va pas distribuer des bons points ou des mauvais points, il va donner un éclairage, une direction, une lumière. Les vertus dont il parle sont des catégories tout à fait classiques. Les quatre vertus cardinales sont vieilles comme le monde, elles nous viennent de Platon. Qui dit vertu, dit « force de l’âme ». Donc le premier conseil que l’on donne à des élus ou à des gouvernants, c’est d’avoir cette force d’âme. Et non pas d’être tordus, ou vicieux, conduits par des vices. Je crois que l’intuition du pape est la suivante : allez rechercher le meilleur de vous-mêmes. Au fond de votre âme vous avez une force extraordinaire. C’est là que vous devez puiser votre lumière, votre énergie, votre force, votre intelligence pour être véritablement au service de la paix.

Dans vos vœux, vous appelez à délaisser les vices pour obtenir une politique bonne orientée vers la paix. Cela m’a fait penser à La fable des abeilles, un poème économique et philosophique publié par Bernard Mandeville en 1714. Cela n’est pas tout jeune. Il y démontre qu’une société vertueuse finit par dépérir car elle n’a plus de moteur. Il énonce que les vices individuels sont des bienfaits publics. Ne croyez-vous pas, Mgr Dufour, que les vices de certains élus politiques peuvent servir le bien commun et la paix ?

Je vais dire NON, clairement. Notre société est fondée sur les vices et c’est ce qui crée notre malheur. Mandeville donne un exemple, celui du vieil avare. Le vieil avare a 10 000 livres sterling de rente par an, mais il n’en dépense que 5 000, il ne fait pas tourner l’économie, donc il faudrait le voler – selon Mandeville – pour faire tourner l’économie. Attaquons-nous au premier vice : l’avarice. Convertissons cet avare pour qu’il ne soit plus avare, pour qu’il distribue son argent et le fasse vivre. Mettons de la vertu là où il y a le vice et nous transformerons le monde ! Et nous ferons un monde véritablement en paix. Un monde de voleurs ne peut pas être un monde en paix.

Comment nos responsables politiques locaux peuvent-ils œuvrer pour la paix ?

Je rencontre beaucoup les élus du territoire d’Aix et Arles, les députés, les sénateurs, les maires surtout. Je peux témoigner qu’ils sont d’une grande générosité –surtout au début de leur carrière-, ils ont le souci de servir le bien commun –ils diraient l’intérêt général. Quand on dit « Paix à cette maison », c’est d’abord notre maison commune.

Mais il y a aussi dans le monde politique de grandes tentations : celle du pouvoir, du mensonge, de satisfaire des intérêts particuliers. Il faut que les élus résistent à ces tentations. Je peux témoigner qu’il y a beaucoup de générosité chez nos élus. Il y a de la vertu, il y a d’énormes tentations quand on a le pouvoir. D’abord la tentation de le garder. Pour le garder, parfois on peut se compromettre et corrompre son pouvoir.

À la question « Qui fera la paix ? » le pape François répond « tous ». Concrètement, comment les croyants du diocèse d’Aix et Arles peuvent-ils participer à la paix ?

D’abord par l’éducation à la vertu.

Je n’aime pas beaucoup le mot « valeurs », car c’est très abstrait. La valeur a besoin d’une référence, or nous n’avons pas tous les mêmes références. Par exemple, quand on parle de « fraternité », nous n’avons pas tous les mêmes références. Idem pour la dignité. Donc il est important de se mettre d’accord sur ces références avant de parler des valeurs. Pourquoi disons-nous qu’un être humain doit être respecté ? Parce qu’il a un prix infini. Nous le mesurons à Dieu. Donc le mot valeurs est parfois piégé.

Par contre le mot vertu, indique une force, une direction, un élan. C’est la force qui va commander la volonté, qui va aller dans la direction du bon agir. La vertu est un moteur intérieur. C’est la force d’une âme qui désire de toutes ses forces le bien, pour soi-même, pour tous, pour nos frères.

La première mission de l’Église est l’éducation au bien, à la volonté du bien, apprendre à être vertueux.

Mgr Dufour, le pape François déclare en conclusion de son message pour la journée mondiale pour la paix que « la paix est une conversion du cœur et de l’âme ». C’est ce que vous voulez dire ?

L’âme a un fond de bonté immense. Même Jean-Jacques Rousseau l’a reconnu. Et il disait que la vertu consistait à ne pas se laisser embrigader par ses passions. La vertu est cette force qui va nous amener à travailler, non pas pour nous-mêmes et nos désirs individuels, mais pour pouvoir regarder plus loin que cela. Il faut bien sûr voir son bien propre car nous ne pourrons faire le bien que si nous sommes bien dans notre peau et notre âme. Donc c’est un travail sur le cœur et sur l’âme. Ce qui manque plus aujourd’hui, c’est la force d’âme.

Sur votre territoire diocésain, il existe des activités militaires, des entreprises qui fabriquent ou utilisent des armes. Je pense à Airbus Helicopters, à Dassault Aviation, aux sites de l’armée. Tous ceux qui travaillent dans l’industrie militaire, ou les militaires eux-mêmes –il y a surement des croyants parmi eux –peuvent se sentir en porte-à-faux avec le message du pape sur la paix. Que leur dites-vous ?

C’est vrai qu’il y a la plus grosse fabrique au monde d’hélicoptères. La moitié est destinée à l’usage militaire, ce qui permet à Airbus Helicopters de vivre et de nourrir ses salariés. On voit aujourd’hui que le marché de l’armement est florissant. La plupart des pays du monde a augmenté son budget consacré à l’armement. Je pense comme le pape François qu’il faut participer à la lutte contre la prolifération des armes, en tout premier lieu celle des armes nucléaires.